La loi Ferry du 28 mars 1882 organise l’enseignement primaire. Elle supprime la morale religieuse et la remplace par une instruction morale et civique ; elle prévoit que les écoles seront fermées un jour en dehors du dimanche pour permettre aux parents de faire donner aux enfants, s’ils le souhaitent, une instruction religieuse en dehors de l’établissement. La loi rend l’instruction primaire obligatoire pour les enfants des deux sexes de six ans révolus à treize ans révolus (en précisant que cet enseignement peut être donné dans un établissement public ou privé ou par les parents). Elle institue une commission municipale scolaire pour encourager et surveiller la fréquentation des écoles (système de sanctions en cas d’absences répétées) et crée le certificat d’études primaires.

Avant de quitter le ministère de l’Instruction publique, Jules Ferry adresse aux instituteurs le 17 novembre 1883 une circulaire devenue célèbre qui, tout en demeurant ferme sur les principes de la laïcité, se veut un geste d’apaisement envers les catholiques.

D’une manière générale, le gouvernement de Jules Ferry (il sera Président du conseil de février 1883 à mars 1885) ne recherche pas l’affrontement avec les catholiques : (i) les préfets sont autorisés à ne procéder à l’enlèvement des crucifix dans les classes que « quand et comme ils le jugeront à propos » sans s’exposer « à porter le trouble dans les familles et les écoles » et il leur est reconnu « toute latitude pour tenir compte à cet égard du vœu des populations » ; (ii) quatre manuels de morale ayant été mis à l’index par le Saint-Siège, le gouvernement reconnaît que l’un d’eux comporte « des atteintes manifestes au principe de la liberté religieuse » et en décide une nouvelle édition rectifiée.

Tirant les leçons de la disparition de la II° République, les républicains avaient compris que l’instauration du suffrage universel ne suffisait pas à pérenniser la démocratie et que l’instruction du citoyen en était le complément indispensable. Ce que Léon Gambetta exprimait en disant qu’il convient « de rapprocher les hommes par l’instruction afin d’éclairer chaque jour le suffrage universel ».

La III° République a donc fait de la laïcisation de l’école un de ses combats majeurs. Une laïcisation qui implique le remplacement de la morale religieuse par une instruction morale et civique. Paul Bert, ministre de l’Instruction publique en 1881-1882, explique qu’il ne s’agit pas d’enseigner par « voie de catéchisme », mais de « développer la curiosité de l’esprit » ; il préconise l’introduction « de la critique des institutions et des lois ». Ferdinand Buisson déclare quant à lui : « Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain…et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas de la recevoir toute faite d’un maître…quel qu’il soit, temporel ou spirituel ».

Le changement ne se limite pas au rejet de l’enseignement de dogmes et au développement de l’esprit critique ; il y a aussi délivrance d’une instruction morale ; une morale laïque qui devient un élément central dans la formation du citoyen. Cet enseignement est neutre par rapport aux dogmes religieux, mais m’exclut pas de traiter des idées morales, philosophiques ou religieuses. F Buisson l’exprime ainsi : « qui peut prétendre qu'il y ait une éducation sans un ensemble d'influences morales, sans une culture générale de l'âme, sans quelques notions sur l'homme lui-même, sur ses devoirs et sur sa destinée ? ».

L’arrêté de J. Ferry du 27 juillet 1882 arrêté de J. Ferry du 27 juillet 1882 sur l’organisation pédagogique des écoles primaires précise le contenu de cet enseignement moral : « [Il] tend à développer dans l’homme l’homme lui-même c’est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience… Cette éducation n’a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir… elle n’entreprend pas d’analyser toutes les raisons de l’acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en faire une habitude qui gouverne la vie…La société laïque et démocratique a en effet l’intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de bonne heure et par des leçons ineffaçables au sentiment de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilité personnelle…L’instituteur n'a pas à enseigner…comme s’il s’adressait à des enfants dépourvus de toute notion préalable du bien et du mal : l’immense majorité lui arrive au contraire ayant déjà reçu ou recevant un enseignement religieux qui les familiarise avec…les notions fondamentales de la morale éternelle et universelle ; mais ces notions sont encore chez eux à l’état de germe naissant et fragile…Elles attendent d’être mûries et développées par une culture convenable. C’est cette culture que l’instituteur public va leur donner… Sa mission est donc bien délimitée ; elle consiste à fortifier, à enraciner dans l’âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la pratique quotidienne, ces notions essentielles de moralité humaine communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés…. L’enseignement moral laïque se distingue donc de l'enseignement religieux sans le contredire. L’instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme. »

La loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire (dite loi Goblet ou loi sur la laïcité) structure l’enseignement primaire : écoles maternelles, écoles primaires élémentaires, cours complémentaires. Elle prévoit l’existence d’établissements publics et privés. Elle rend obligatoire la présence d’au moins une école primaire dans chaque commune ; elle établit une séparation entre écoles de filles et écoles de garçons ; elle édicte que dans les écoles publiques (primaire) l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque[1] (article 17) ; elle prévoit un enseignement primaire pour les adultes et les apprentis ; elle prévoit une inspection des écoles privées et publiques ; elle rend obligatoire la prise en charge par les communes des dépenses d’installation et de fonctionnement des écoles ; elle règlemente le fonctionnement des écoles privées (en matière notamment d’ouverture, d’accueil des élèves et d’inspection), tout en leur accordant une liberté de choix en matière de méthodes, de livres et de programmes ; elle prévoit les conditions d’accès et d’exercice des fonctions d’enseignement et de direction ; crée des conseils départementaux de l’enseignement primaire ; traite des commissions municipales instituées par la loi du 28 mars 1882.

 


[1] L’arrêt du Conseil d’Etat Bouteyre du 10 mai 1912 étend au secondaire cette interdiction. Les conclusions du commissaire du gouvernement Helbronner méritent d’être rapportées : « Le ministre n’a pas entendu dire qu’il y avait un obstacle légal empêchant les ecclésiastiques de se présenter aux concours de l’Université, ce qui serait un fait inexact. Mais il a entendu dire qu’à l’époque actuelle, dans les conditions et l’esprit de la législation générale, l’intérêt du service qu’il est chargé d’assurer ne lui paraît pas permettre l’admission des ecclésiastiques dans le personnel de l’enseignement secondaire public….C’est qu’en effet, l’enseignement de la jeunesse a, dans la société, une telle importance, la première empreinte laissée dans les esprits subsiste avec une telle force dans le reste de l’existence, que le jour où l’État devait assumer la charge de l’enseignement public, il ne pouvait que le donner impartial et indépendant de toute doctrine religieuse. Cette indépendance et cette impartialité devaient avoir pour corollaire obligatoire le respect des croyances et la liberté de conscience. L’enseignement public, par suite, devait être d’une neutralité absolue ».