Le Conseil d'Etat a publié en novembre 2014 un dossier thématique intitulé "Le juge administratif et l'expression des convictions religieuses". Ce document (qui cite et permet d'accéder à de nombreux arrêts) présente un état de la jurisprudence en matière de séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Il souligne que la liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de croire ou de ne pas croire ; elle implique aussi une extériorisation, qu'il s'agisse de l'exercice d'un culte ou de l'expression de croyances. Il devient dès lors nécessaire de concilier liberté et ordre public. "Le juge administratif est au coeur de la construction et de la pérennisation de cet équlibre qui peut être regardé comme la traduction juridique de ce qu'est la laïcité".

Le document présente les principes (liberté de religion et neutralité de la puissance publique) avec leur base juridique et explicite le rôle du juge administratif qui veille à la neutralité de l'Etat tout en préservant les droits des agents publics. Cette exigence se traduit notamment par l'interdiction de financement public des cultes, sans exclure "dans certaines hypothèses la possibilité ou même l’obligation, pour la puissance publique, d’organiser activement l’exercice de la liberté religieuse, voire d’apporter des financements à des activités en rapport avec l’exercice du culte" : assurer le libre exercice du culte pour certains publics qui sont captifs (aumôneries) ; contribuer financièrement à l'entretien de certains lieux (une série de 5 décisions d'assemblée du 19 juillet 2011 définit les conditions dans lesquelles peut intervenir ce type d'aides).

La neutralité de l'Etat est une source d'obligations, mais aussi de protection pour les agents publics : interdiction faite aux agents de manifester leur religion dans leurs fonctions ; droit pour les agents au respect de leurs convictions religieuses.

La liberté de religion n'a pas de portée absolue et des restrictions peuvent lui être apportées au nom de l'ordre public. Le juge administratif contrôle la légalité de ces restrictions.

Il existe plusieurs motifs qui justifient l'encadrement de l'extériorisation des convictions religieuses :

- Dans la vie en société : pouvoirs de police administrative du maire pour règlementer les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures ; les autorités de police administrative sont compétentes pour réglementer les conditions de l’abattage rituel d’animaux, etc. Les mesures prises doivent être strictement nécessaires au maintien de l'ordre.

- Dans les relations avec les usagers des services publics : la qualité d’usager du service public n’implique pas en elle‐même, aucune limitation à la liberté de d’opinion et de croyance, ni à la possibilité de les exprimer. L'exemple le plus significatif des restrictions est la loi du 15 mars 2004 relative au port du voile islamique dans l'espace public. Ainsi qu'en a jugé le Conseil constitutionnel le 19 novembre 2004, le principe de laïcité interdit « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers ».

Si la neutralité de l’Etat implique que l’administration soit indifférente à la question religieuse, le juge administratif accepte néanmoins que l’administration tienne compte de pratiques religieuses jugées radicales dans l’examen de situations individuelles. L’indifférence de l’Etat à l’égard de la religion s’exprime ainsi chaque fois que l’administration ou le juge tranchent une question de droit sans égard pour l’objet religieux de la demande ou le caractère religieux du demandeur. L’application de la norme juridique est en principe indifférente au fait religieux, pour des raisons d’égalité devant la loi. Le Conseil d’Etat accepte, cependant, que l’administration tienne compte, dans le cadre du traitement de certaines demandes, de pratiques religieuses particulièrement radicales. Il a ainsi rejeté le recours dirigé contre une décision de refus d’agrément opposé, dans le cadre d’une procédure d’adoption d’un pupille de l’État, à un couple ayant fait connaître leur adhésion personnelle à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et leur opposition à l'usage de cette méthode thérapeutique. Le Conseil d’Etat a également jugé que l’adhésion à certaines pratiques radicales pouvait constituer un « défaut d’assimilation » au sens de l’article 21‐4 du code civil qui prévoit que le Gouvernement peut, par décret en Conseil d’Etat, s’opposer à la déclaration acquisitive de nationalité française d’un conjoint de Français. Saisi d’une affaire portant sur l’épouse d’un ressortissant français se réclamant du courant salafiste et revendiquant notamment le port du niqab, le Conseil d’Etat a relevé que la requérante avait « adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d’égalité des sexes ».

La nécessaire neutralité des pouvoirs publics à l’égard des convictions religieuses de chacun admet donc des limites qui ne tiennent pas uniquement à la protection de l’ordre public dans sa conception classique. Le Conseil constitutionnel a confirmé cette évolution dans sa décision du 7 octobre 2010 relative à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public

Il a ainsi jugé : « que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ».

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