L'Observatoire de la laïcité a publié en février 2016 un guide de la laïcité et du fait religieux dans les établissements publics de santé. Les exposés s'accompagnent de la présentation de cas concrets
a) Ce document définit d'abord les règles applicables aux personnels de santé, qui sont identiques à celles des diverses fonctions publiques :
- L’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion dans l’accès aux fonctions et le déroulement de carrière (rappel de l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 mai 2000, Mlle Marteaux)
- Le devoir de neutralité des agents publics et des salariés participant à une mission de service public (neutralité dans le traitement des usagers et neutralité de comportement). Ce principe s'applique aux personnels des administrations et des entreprises privées qui participent à une mission de service public (rappel de l'arrêt du 26 novembre 2015 de la CEDH).
- Cas particulier des étudiants : ils conservent durant leur formation universitaire théorique la possibilité de porter des signes religieux car ils sont à cet instant uniquement des étudiants de l’enseignement supérieur ; en revanche, notamment lorsqu’ils sont en stage ou en formation professionnelle au sein d’un établissement public de santé, ils sont soumis à l’obligation de neutralité car ils exercent alors des fonctions médicales ou paramédicales et peuvent être à ce titre assimilés à des agents du service public.
- Interdiction du prosélytisme
- Neutralité des bâtiments publics en application de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905.
Cas des crèches confessionnelles : il existe une large marge d’appréciation dans la qualification ou non d’emblème religieux de ces représentations figuratives ; ainsi, une appréciation par le juge in concreto, guidée par les circonstances locales de temps et de lieu, par la récurrence de l’exposition, et par la présentation publique qui en a éventuellement été faite, s’impose ; en amont, le gestionnaire du service public devra prendre en considération l’existence ou non d’un particularisme local qui justifierait cette installation dans un espace public ouvert à tous en tant que simple « exposition » culturelle ou traditionnelle. Les autorités publiques décisionnaires ne peuvent fonder leur décision d’installation d’une crèche que sous l’angle de l’exposition. Toute présentation religieuse de la crèche traduisant une préférence du service en question, serait un manquement à l’obligation de neutralité du service public en question.
- Clause de conscience
L'article R. 4127-47 du code de la santé publique donne une définition assez générale de cette clause : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». La clause de conscience, c’est, pour le médecin, le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. Sauf urgence vitale, le médecin n’est pas tenu de pratiquer l’acte demandé ou nécessité par des conditions particulières. Mais, conformément aux dispositions de l'article précité, s’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir clairement le patient, dès la première consultation, et lui donner tous moyens et conseils pour qu’il puisse obtenir une prise en charge adaptée. De plus, le médecin doit s’assurer que sa décision ne contrevient pas aux dispositions de l’article 7 du code de déontologie médicale (repris dans l'article 4127-47) : « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. »
b) Les aumôniers
Leur existence est rendue possible par la loi de 1905 et ils sont mentionnés à l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 relative à la fonction publique hospitalière. Il leur incombe la charge d’assurer le service du culte qu’ils représentent et d’assister les patients qui en font la demande ou ceux qui, lors de leur admission, ont déclaré appartenir à tel ou tel culte. Ils assistent aussi les familles et proches qui le souhaitent. Au-delà de leurs missions d’assistance des patients et de leurs proches, les aumôniers apportent leur concours à l’équipe soignante. Ainsi, les aumôniers éclairent, le cas échéant, l’équipe médicale et soignante sur les implications que peuvent avoir certaines de leurs décisions au regard des convictions et pratiques religieuses des patients. Leur démarche doit être cohérente avec la démarche de soins (cf. Charte nationale des aumôneries du 5 septembre 2011, annexée à la circulaire du 5 septembre 2011).
Quel que soit le culte auquel ils appartiennent, les aumôniers sont recrutés en qualité d’agents contractuels ou autorisés en tant que bénévoles par les chefs d’établissement, sur proposition des autorités cultuelles dont ils relèvent en fonction de leur organisation interne.
Les aumôniers doivent pouvoir disposer d’un local de permanence pour recevoir à proximité du lieu réservé au recueillement. Les cultes sont célébrés au sein des établissements soit dans un lieu de culte existant, lorsqu’il s’en trouve un dans l’enceinte de l’établissement, soit dans une salle rendue disponible à cet effet. Il est possible de prévoir une salle polyvalente, partagée entre différentes aumôneries, dès lors qu’il y a accord entre les aumôniers de différents cultes. Ces obligations doivent cependant être conciliées tant avec les exigences du service hospitalier qu’avec les possibilités de l’établissement.
Dans chaque établissement, conformément à la circulaire du 5 septembre 2011, un référent chargé du service des aumôneries hospitalières est désigné. Il est l’interlocuteur privilégié des représentants des différents cultes et doit faciliter les relations entre les aumôniers, les services et les usagers de l’hôpital.
c) Les patients
Les usagers accueillis au sein d’établissements hospitaliers, sociaux, ou médicosociaux ont droit au respect de leurs croyances et doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte (article R. 1112-46 du code de la santé publique), sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène.
- Alimentation : l'introduction de denrées ou médicaments est interdite, dès lors qu'ils ne sont pas compatibles avec les traitements et régimes alimentaires prescris. La circulaire du 6 mai 1995 à laquelle est annexée la Charte de la personne hospitalisée, rappelle la possibilité de proposer des alternatives : « Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion : recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression. » Ainsi, les établissements de santé s’efforcent dans la mesure du possible de trouver des alternatives à la nourriture que ne consommeraient pas certains patients.
- La question du choix des médecins
Le patient est libre du choix de son médecin et de l'établissement de soins. La personne hospitalisée participe aux choix thérapeutiques qui la concernent. Dans les disciplines qui comportent plusieurs services, les malades ont, sauf en cas d'urgence et compte tenu des possibilités en lits, le libre choix du service dans lequel ils désirent être admis. Il convient donc que dans les établissements publics de santé et les établissements privés participant au service public hospitalier, le malade puisse, uniquement en dehors des cas d’urgence, choisir librement son praticien, son établissement et éventuellement son service. Toutefois ce choix doit se concilier avec les règles telles que l’organisation du service ou la délivrance des soins. En effet, le choix du praticien ne peut aller à l’encontre du tour de garde des médecins ou de l’organisation des consultations, conforme aux exigences de continuité du service hospitalier. En outre, le choix exprimé par le patient ou son entourage ne doit pasperturber la dispensation des soins, compromettre les exigences sanitaires, ni créer de désordres. Dans ce dernier cas, le directeur prend, avec l’accord du médecin chef de service, toutes les mesures appropriées pouvant aller éventuellement jusqu’au prononcé de la sortie de l’intéressé pour motifs disciplinaires (si l’état de santé du patient le permet) (art. R. 1112-49 du code de la santé publique).
- Le refus de certains soins
L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique dispose qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». Dans une décision du16 août 2002, Mme F, le Conseil d’État a rappelé que sur la base de ce principe le patient dispose du libre choix de son praticien et doit consentir librement aux soin qui lui sont dispensés.
Corollaire au droit au consentement aux soins, le droit au refus de soins a été consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans sa décision Pretty c Royaume Uni du 29 avril 2002, dans laquelle elle pose le principe selon lequel : « En matière médicale, le refus d'accepter un traitement particulier pourrait, de façon inéluctable, conduire à une issue fatale, mais l'imposition d'un traitement médical sans le consentement du patient s'il est adulte et sain d'esprit s'analyserait en une atteinte à l'intégrité physique de l'intéressé pouvant mettre en cause les droits protégés par l'article 8 § 1 de la Convention. Comme l'a admis la jurisprudence interne, une personne peut revendiquer le droit d'exercer son choix de mourir en refusant de consentir à un traitement qui pourrait avoir pour effet de prolonger sa vie. ». Dans sa décision Senanayaké du 26 octobre 2001, le Conseil d’État a cependant refusé de voir une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’Assistance publique dans le choix des médecins de procéder à des transfusions sanguines visant à sauvegarder la vie du patient, allant à l’encontre du refus du patient de se voir apporter un tel traitement. Si le principe reste celui du consentement du patient aux soins, et le cas échéant de son droit de refus, le juge ne condamne pas pour autant les médecins qui s’en affranchissent, dès lors qu’ils accomplissent un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état, dans le seul but de tenter de le sauver.
Les mineurs et majeurs sous tutelle constituent un cas particulier. L’article L. 1111-4 alinéa 6 du Code de la santé publique dispose que « Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. ». La croyance religieuse des parents ne peut donc être le motif d’un refus de soins sur leurs enfants. Ne pas appeler les secours en cas de danger pour l’enfant est punissable au titre de la non-assistance à personne en danger.
- Les rites funéraires
En matière mortuaire, les familles des malades en fin de vie et des défunts se voient garantir la possibilité de procéder aux rites et cérémonies prévus par la religion de leur choix. Ainsi, le décret du 14 janvier 1974, indique que « lorsque l’hospitalisé est en fin de vie, il est transporté avec toute la discrétion souhaitable, dans une chambre individuelle du service. Ses proches sont admis à rester auprès de lui et à l’assister dans ses derniers instants ». Par ailleurs, « dans toute la mesure du possible, la famille a accès auprès du défunt avant que le corps ne soit déposé dans la chambre mortuaire sans que ce dépôt ne soit différé, de ce fait, d’un délai supérieur à dix heures".
- La pratique du culte (prière)
Les personnes accueillies en qualité de patients dans les établissements de santé peuvent procéder à leurs prières librement, dans la limite du bon fonctionnement du service (réalisation d’actes médicaux) ou de la liberté d’autrui (chambre partagée avec d’autres patients).
- La liberté de conscience et de manifester sa croyance
Les hospitalisés ont le droit de manifester leur croyance et de pratiquer leur culte librement. Cependant cette liberté est encadrée par la nécessité d’assurer la qualité des soins et des règles d’hygiène (le patient doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) et de sécurité ; la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches et le fonctionnement régulier du service. Par ailleurs, la dissimulation du visage est interdite (hors cas de nécessité médicale) conformément à la loi du 11 octobre 2010 (cette loi n’a pas pour fondement le principe de laïcité mais l’ordre public et l’interaction sociale).
- Interdiction du prosélytisme
La liberté de manifester sa religion ne peut permettre aux personnes accueillies dans l’établissement, aux personnes bénévoles y intervenant ou aux visiteurs d’avoir un comportement prosélyte.