a) Prise de position de Kamel Daoud

Dans un article publié dans l'édition du journal Le Monde du 5 février 2015, l'écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud, décrit les évènements de la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne comme un jeux de fantasmes. Fantasmes occidentaux : peur d'invasion, binôme barbare-civilisé, immigrés violeurs. Mais aussi angélisme de l'occidental (humamisme, culpabilité) qui voit dans l'immigré son statut et pas sa culture. Il oublie que l'immigré vien "d'un piège culturel  que résume surtout son rapport à dieu et à la femme". Il oublie que la culture est ce qui lui reste face au déracinement.

Dans son rapport à la femme l'immigré est différent de l'occidental et a besoin de temps pour changer. Il vient d'un monde qui a un "rapport malade à la femme, au corps et au désir...La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée...Le corps de la femme est le lieu public de la culture : il appartient à tous [sa nation, sa famille, son mari, son frère aîné, son quartier, les enfants de son quartier, son père et à l'Etat, la rue, ses ancêtres, sa culture nationale, ses interdits], pas à elle...Une femme est une femme pour tous, sauf pour elle. Son corps est un bien vacant pour tous".

L'immigré désire la liberté, mais ne l'assume pas. Il voit l'occident à travers le corps de la femme qui "est vu non comme le lieu même de la liberté essentielle comme valeur en occident, mais comme une décadence...A Cologne, l'occident réagit parce qu'on a touchéà l'essence de sa modernité, là ou l'agresseur n'a vu qu'un divertissement, un excès d'une nuit de fête et d'alcool peut-être".

"L'immigré ne comprend pas que l'asile n'est pas seulement avoir des papiers mais accepter le contrat social d'une modernité. Le sexe est la plus grande misère dans le monde d'Allah...L'islamisme est un attentat contre le désir. Et ce désir ira, parfois, exploser en terre d'Occident, là où la liberté est si insolente". Il est nécessaire de ne pas fermer les yeux sur un idispensable travail sur soi et sur les autres ; "cela pose le problème des valeurs à partager, à imposer, à défendre et à faire comprendre. Cela pose le problème de la responsabilité après l'accueil et qu'il faut assumer".

b) Réaction d'un collectif d'intellectuels (historiens, sociologues, anthropologues, etc.) dans une tribune publiée dans l'édition du 12 février du journal Le Monde

Les signataires reprochent à K. Daoud de délivrer des lieux communs et de recycler "les clichés orientalistes les plus éculés, de l'islam religion de mort". Ils lui reprochent aussi de psychologiser les violences sexuelles : elles sont imputées à des individus déviants "sans la moindre autonomie, puisque leurs actes sont entièrement déterminés par la religion...prisonniers des discours islamistes...[qui] n'ont comme choix que le repli culturel face au déracinement". Ils estiment que cette approche "efface les conditions sociales, politiques et économiques qui favorisent ces actes".

Quand K. Daoud pose la question de savoir si le réfugié est un sauvage, même en répondant par la négative, il procède à un amalgame qui pèse sur tous les demandeurs d'asile. En définissant les réfugiés comme culturellement inadaptés et psychologiquement déviants, ils en fait des sujets de rééducation, ignorant leurs parcours individuels et leurs expériences diverses et riches. Son projet est un projet paternaliste et disciplinaire qui vise à imposer des valeurs occidentales jugées supérieures à une masse malade.

Pour les signataires, K. Daoud "intervient en tant qu'intellectuel laïque minoritaire dans son pays, en lutte quotidienne contre un puritanisme parfois violent. Dans le contexte européen, il épouse toutefois une islamophobie devenue majoritaire". Ils s'alarment de "la banalisation des discours racistes affublés des oripaux d'une pensée humaniste qui ne s'est jamais si mal portée"

c) autres réactions

Dans une tribune publiée dans l'édition du 2 mars du journal Le Monde, l'écrivain et philosophe Pascal Bruckner appelle à la défense des libres penseurs contre les fatwas de l'intelligentsia. Il note que K. Daoud n'est pas le premier à souligner "le rapport pathologique à la sexualité de nombreux pays d'islam", mais qu'il est le seul à avoir appliqué cette analyse aux évènements de Cologne. P. Bruckner repproche aux pétitionnaires de ne pas être dans un débat intellectuel, mais dans la démonologie, la volonté de "lui fermer la bouche en l'accusant de racisme". Il note "un incroyable retournement caractéristique de toute la gauche multiculturelle : l'antiracisme est plus important, désormais, que le viol ; le respect des cultures que le respect des personnes". Il relève que le mot d'islamophobie hérité du vocabulaire colonial du XIX° siècle est transformé en arme de guerre idéologique ou utilisé comme instrument de censure (l'islam devenant intouchable, contrairement aux autres religions). Il s'agit d'imposer le silence à ceux qui osent critiquer leur propre religion. Pour P. Bruckner, la pétition vise toute l'intelligentsia franco-maghrébine (notamment Rachid Boudjedra et Boualem Sansal). Il y voit une nouvelle trahison des clercs : "au lieu d'aider les rebelles du monde arabo-musulman à étendre le règne de la raison, à combattre le fanatisme, [les pétitionnaires]...instituent une sorte d'apartheid légal dans la division internationale du travail intellectuel ".

Dans la même édition du journal Le Monde, Jocelyne Dakhlia (chercheuse et co-signataire de la pétition), estime mormal de critiquer un auteur qui, malgré son indéniable courage, véhicule une vision culturaliste de la violence sexuelle. A l'encontre de K. Daoud qui estime que la culture islamiste (religion) est spécifique et doit être réformée ou combattue, les chercheurs défendent l'idée que le problème n'est pas dans la culture (religion). J. Dakhlia reconnaît la légitimité du débat d'idées (et notamment de l'appel à une réforme de l'islam), et tout en estimant que ces idées favorisent l'islamophobie, ne se place pas dans une problématique d'islamophobie ou d'islamophilie. Elle reproche au texte publié par K. Daoud de ne pas être conforme à l'éthique journalistique (vérification des faits) et de procéder à une lecture culturaliste. A Cologne, des agressions sexuelles ont été commises par des hommes, quelle que soit leur nationalité. "La population des réfugiés compte comme toute population son lot de sales types et il n'y a pas lieu de demander aux étrangers d'être meilleurs que nous le sommes". Il ne faut pas ressusciter les clichés orientalistes de l'hypersexualité des musulmans. Il faut comprendre, car "comprendre, ce n'est pas excuser. Expliquer n'est pas absoudre". Il ne faut pas s'enfermer dans un choc des cultures qui a débouché sur le djihadisme et le terrorisme