La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été conduite à plusieurs reprises à se prononcer sur la compatibilité en matière de fin de vie, suicide ou euthanasie entre les décisions de tribunaux nationaux et les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme.
a) Arrêt de chambre Pretty c Royaume Uni du 29 avril 2002
La requérante était en train de mourir d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie neurodégénérative incurable entraînant une paralysie des muscles. Étant donné que la phase terminale de la maladie entraîne souffrances et perte de dignité, elle souhaitait pouvoir choisir le moment et les modalités de sa mort. Sa maladie l’empêchant de se suicider sans aide, elle souhaitait pouvoir obtenir l’assistance de son mari. Or, si le droit anglais ne considérait pas le suicide comme une infraction, il érigeait en infraction le fait d’aider autrui à se suicider. La requérante se plaignait du refus des autorités de prendre l’engagement que son mari ne serait pas poursuivi s’il l’aidait à mettre fin à ses jours.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention, estimant que cette disposition ne saurait, sans distorsion de langage, être interprétée comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir.
La Cour a également conclu à la non-violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention. Certes, elle ne pouvait qu’éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une mort pénible si on ne lui donnait pas la possibilité de mettre fin à ses jours. Toutefois, admettre l’obligation positive qui d’après la requérante pesait sur l’État serait revenu à obliger l’État à cautionner des actes visant à interrompre la vie, obligation qui ne peut être déduite de l’article 3.
La Cour a en outre conclu dans cette affaire à la non-violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée), 9 (liberté de conscience) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention.
b) Arrêt de chambre Haas c Suisse du 20 janvier 2011
Cette affaire soulevait la question de savoir si, en vertu du droit au respect de la vie privée, l’État doit faire en sorte qu’une personne malade souhaitant se suicider puisse obtenir une substance létale (pentobarbital sodique) sans ordonnance médicale, par dérogation à la législation, afin qu’elle puisse mourir sans douleur et sans risque d’échec. Le requérant, qui depuis une vingtaine d’années souffrait d’un grave trouble affectif bipolaire et considérait que pour cela il ne pouvait plus vivre d’une manière digne, soutenait que son droit de mettre fin à ses jours de manière sûre et digne n’était pas respecté en Suisse, en raison des conditions requises – et qu’il ne remplissait pas – pour obtenir la substance en question.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention, estimant que, même à supposer que les États aient une obligation positive d’adopter des mesures permettant de faciliter la commission d’un suicide dans la dignité, les autorités suisses n’avaient pas méconnu cette obligation en l’espèce.
La Cour a notamment noté que l’on était loin d’un consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe quant au droit d’un individu de choisir quand et de quelle manière il voulait mettre fin à ses jours. Si l’assistance au suicide avait ainsi été dépénalisée (au moins partiellement) dans certains États membres, la grande majorité de ceux-ci semblait donner plus de poids à la protection de la vie de l’individu qu’à son droit d’y mettre fin. La Cour en a conclu que la marge d’appréciation des États était considérable dans ce domaine.
Si elle a par ailleurs admis que le requérant pouvait souhaiter vouloir se suicider de façon sûre, digne et sans douleur inutile, la Cour n’en était pas moins d’avis que l’exigence posée par le droit suisse d’une ordonnance médicale pour se procurer du pentobarbital sodique avait un objectif légitime, à savoir de protéger notamment toute personne d’une prise de décision précipitée, ainsi que de prévenir des abus, dont l’on ne saurait sous-estimer les risques inhérents à un système facilitant l’accès au suicide assisté. La Cour a ainsi estimé que l’exigence d’une ordonnance médicale, délivrée sur le fondement d’une expertise psychiatrique complète, était un moyen permettant de satisfaire à l’obligation pesant sur les États de mettre en place une procédure propre à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l’intéressé. Quant à la question de savoir si le requérant avait eu ou non un accès effectif à une expertise médicale qui aurait permis l’obtention de pentobarbital sodique (dans le cas contraire, son droit de choisir le moment et la manière de mourir aurait en effet été théorique et illusoire), la Cour n’est pas convaincue que l’intéressé se soit trouvé dans l’impossibilité de trouver un spécialiste prêt à l’assister, comme il le prétendait.
c) Arrêt de chambre Koch c Allemagne du 19 juillet 2012
En 2004, l’épouse du requérant, qui souffrait d’une tétraplégie complète, demanda vainement l’autorisation à l’Institut fédéral des produits pharmaceutiques et médicaux d’obtenir une dose létale d’un médicament qui lui aurait permis de se suicider à son domicile en Allemagne. Le requérant et son épouse formèrent un recours administratif dont ils furent déboutés. En février 2005, tous deux se rendirent en Suisse où l’épouse du requérant se suicida avec l’aide d’une association. En avril 2005, le requérant introduisit une action en vue d’obtenir une déclaration d’illégalité des décisions de l’Institut fédéral. Le tribunal administratif, la cour d’appel et la Cour constitutionnelle fédérale déclarèrent ses recours irrecevables. Le requérant soutenait en particulier que le refus des juridictions allemandes d’examiner au fond son grief avait porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Eu égard, en particulier, à la relation exceptionnellement proche entre le requérant et son épouse et à son implication immédiate dans la réalisation du souhait de l’intéressée de mettre fin à ses jours, la Cour a estimé que celui-ci pouvait prétendre avoir été directement affecté par le refus d’autoriser l’acquisition d’une dose létale de médicament. Elle a conclu en l’espèce à la violation des droits procéduraux du requérant au regard de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention, en raison du refus des juridictions allemandes d’examiner sa demande au fond. Quant au volet matériel du grief du requérant, la Cour a estimé qu’il appartenait avant tout aux juridictions allemandes d’examiner le fond de la demande, compte tenu en particulier du fait qu’il n’y a aucun consensus parmi les États membres du Conseil de l’Europe sur la question de savoir s’il fallait ou non autoriser une forme quelconque de suicide assisté.
d) Arrêt de grande chambre Gross c Suisse du 30 septembre 2014
Dans cette affaire, une dame âgée souhaitant mettre fin à ses jours et ne souffrant d’aucune pathologie clinique se plaignait de n’avoir pu obtenir des autorités suisses l’autorisation de se procurer une dose létale de médicament afin de se suicider. La requérante se plaignait qu’en lui refusant le droit de décider quand et comment mettre fin à ses jours les autorités suisses avaient violé l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention.
Dans un arrêt de chambre rendu en l’espèce le 14 mai 2013, la Cour a conclu, à la majorité, à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention.Elle a estimé en particulier que le droit suisse ne définissait pas avec suffisamment de clarté les conditions dans lesquelles le suicide assisté était autorisé.
L’affaire a été ultérieurement renvoyée devant la Grande Chambre à la demande du gouvernement suisse.
En janvier 2014, le gouvernement suisse a informé la Cour qu’il avait appris le décès de la requérante en novembre 2011. Dans son arrêt de Grande Chambre du 30 septembre 2014, la Cour a déclaré, à la majorité, la requête irrecevable. Elle est parvenue à la conclusion que la requérante avait entendu l’induire en erreur relativement à une question portant sur la substance même de son grief. En particulier, l’intéressée avait pris des précautions spécifiques pour éviter que la nouvelle de son décès ne fût révélée à son avocat, et en définitive à la Cour, afin d’empêcher cette dernière de mettre fin à la procédure dans son affaire. Partant, la Cour a estimé que le comportement de la requérante s’analysait en un abus du droit de recours individuel (article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention). En conséquence de cet arrêt, les conclusions de la chambre dans son arrêt du 14 mai 2013, qui n’est jamais devenu définitif, ont perdu toute validité juridique.
e) Arrêt de grande chambre Lambert et autres c France du 2 juin 2015
Les requérants sont les parents, le demi-frère et la soeur de Vincent Lambert qui, victime d’un accident de la circulation en 2008, subit un traumatisme crânien qui le rendit tétraplégique. Ils dénonçaient en particulier l’arrêt rendu le 24 juin 2014 par le Conseil d’État français qui, statuant notamment au vu des résultats d’une expertise médicale qui avait été confiée à un collège de trois médecins, jugea légale la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin en charge de Vincent Lambert, de mettre fin à son alimentation et hydratation artificielles. Les requérants considéraient en particulier que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de l’intéressé serait contraire aux obligations découlant pour l’État de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour a conclu à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014. Elle a constaté en particulier qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie. Dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États. La Cour a considéré que les dispositions de la loi du 22 avril 2005, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, constituent un cadre législatif suffisamment clair pour encadrer de façon précise la décision du médecin dans une situation telle que celle-ci.
Pleinement consciente par ailleurs de l’importance des problèmes soulevés par la présente affaire qui touche à des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité, la Cour a rappelé que, dans les circonstances de l’espèce, c’est en premier lieu aux autorités internes qu’il appartenait de vérifier la conformité de la décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la Convention, ainsi que d’établir les souhaits du patient conformément à la loi nationale.
Le rôle de la Cour a consisté à examiner le respect par l’État de ses obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention.
La Cour a considéré conformes aux exigences de l’article 2 le cadre législatif prévu par le droit interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, ainsi que le processus décisionnel mené d’une façon méticuleuse.
La Cour est dès lors arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et où tous les aspects avaient été mûrement pesés tant au vu d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques.
e) décision d'irrecevabilité du 16 décembre 2008 dans l'affaire Ada Rossi et autres c Italie
Le père et tuteur d’une jeune femme qui se trouvait depuis quelques années dans un état végétatif suite à un accident de la route entama une procédure judiciaire visant à obtenir l’autorisation d’interrompre l’alimentation et l’hydratation artificielles de sa fille. Il se fondait sur la personnalité de sa fille et les idées qu’elle aurait exprimées. La Cour de cassation italienne affirma dans une décision de renvoi du 16 octobre 2007 que l’autorité judiciaire pouvait autoriser l’interruption de l’alimentation en présence d’un état végétatif permanent et de la preuve qu’en possession de toutes ses facultés, la personne se serait opposée au traitement médical. La cour d’appel de renvoi accorda l’autorisation demandée suivant ces deux critères. Devant la Cour européenne, les requérants (des personnes lourdement handicapées ainsi que des associations de défense des malades) se plaignaient des effets négatifs que l’exécution de la décision de la cour d’appel pourrait avoir sur eux.
La Cour a rappelé qu’il ne suffit pas, en principe, à un requérant de soutenir qu’une loi, ou une décision, viole par sa simple existence les droits dont il jouit aux termes de la Convention ; elle doit avoir été appliquée à son détriment. Par ailleurs, l’exercice du droit de recours individuel ne saurait avoir pour objet de prévenir une violation de la Convention : ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le risque d’une violation future peut néanmoins conférer à un requérant la qualité de victime d’une violation de la Convention. En l’espèce, la Cour a déclaré les griefs des requérants irrecevables (incompatibles ratione personae). S’agissant des requérants personnes physiques, elle a jugé qu’ils ne pouvaient se prétendre victimes d’un manquement de l’État italien dans la protection de leurs droits garantis par les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention. Quant aux requérantes personnes morales, elles n’étaient pas directement touchées par la décision de la cour d’appel, laquelle ne pouvait avoir aucun impact sur leurs activités et ne les empêchait pas de poursuivre leurs objectifs.
f) décision d'irrecevabilité du 23 juin 2015 dans l'affaire Nicklinson et Lamb c Royaume-Uni
Cette affaire concernait l’interdiction du suicide assisté et de l’euthanasie volontaire au Royaume-Uni La première requérante était l’épouse de feu Tony Nicklinson, qui était atteint du locked-in syndrome et souhaitait mettre fin à ses jours. Elle soutenait que les juridictions britanniques avaient manqué à apprécier la compatibilité du droit relatif au suicide assisté au Royaume-Uni avec son droit et celui de son époux au respect de la vie privée et familiale. Le second requérant était paralysé et souhaitait également mettre fin à ses jours. Dans sa requête, il se plaignait de ne pas avoir eu la possibilité d’obtenir la permission d’un juge d’autoriser un volontaire à lui administrer, avec son consentement, un médicament létal.
La Cour a déclaré les deux requêtes irrecevables. En ce qui concerne la première, elle a conclu qu’elle était manifestement mal fondée, jugeant que l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention n’impose aucune obligation procédurale qui commanderait aux juridictions internes d’examiner le bien-fondé d’un grief relatif à la législation primaire tel que celui de la requérante. Elle a par ailleurs estimé qu’en toute hypothèse, la majorité de la Cour suprême avait bel et bien examiné le fond du grief de la requérante en concluant qu’elle n’avait pas démontré que soient apparus des faits nouveaux pertinents depuis l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni (voir ci-dessus). Quant à la seconde requête, la Cour a observé que, devant la Cour suprême, le requérant n’avait maintenu que son grief relatif à l’interdiction du suicide assisté et non son argument selon lequel il devrait y avoir une procédure judiciaire permettant d’autoriser l’euthanasie volontaire dans certaines circonstances. Rappelant que ceux qui souhaitent porter devant elle leurs griefs dirigés contre un État contractant doivent d’abord exercer les recours offerts par le système de cet État, la Cour a rejeté la requête pour non-épuisement des voies de recours internes.