Selon un article du journal Le Monde publié dans son édition du jeudi 27 août 2015, "l'Eglise ne tourne plus le dos au FN". Cette appréciation est formulée à la suite de l'invitation faite à Mme Marion Maréchal-Le Pen (députée Front National du Vaucluse) par l'Observatoire sociopolitique (OSP) fondé en 2005 par l'évêque de Fréjus-Toulon. C'est la première fois qu'un représentant du FN est invité à participer à une table-ronde qui clôture les universités d'été de la Sainte-Baume destinées à former des jeunes chrétiens désireux de s'engager dans la vie publique et qui en sont à leur cinquième édition.
L'évêque de Féjus-Toulon observe que le FN représente beaucoup d'électeurs, est invité à prendre la parole sur les chaînes publiques et a des élus (Assemblée nationale, Parlement européen, mairies, etc.) ; il en conclut que "le FN est un parti comme un autre sur l'échiquier politique. Il faut faire preuve de réalisme, ne pas se boucher les yeux et les oreilles". Le père Louis-Marie Guitton, responsable de l'OSP et organisateur de ces universités, constate "qu'il y a aussi des chrétiens au FN. Il faut essayer de dialoguer. Aucun parti n'est idéal. Si on dialogue uniquement avec les gans biens, on ne dialogue avec personne". Vincent Neymon, le directeur de la communication de l'épiscopat français, explique que "les raisons qui ont conduit au blacklistage du FN il y a quinze ans ne sont plus valables. Le parti change, des gens plus variés le suivent. Les thèses ouvertement xénophobes du FN ne sont plus aussi explicites...On n'est plus à l'heure où on pouvait s'arrêter aux principes. Tous le milieux sont touchés, y compris les cathos. Raison de plus d'entrer dans le débat".
Le journal souligne qu'il n'est pas anodin que cette rupture avec une "stratégie de cordon sanitaire autour du FN observée jusqu'ici par l'Eglise" intervienne dans le Var, une terre où ce parti dispose d'une solide implantation locale et concerne une personnalité politique qui a clairement manifesté "sa ferveur pour l'idée d'un France chrétienne et sa proximité avec les positions de l'Eglise sur des sujets importants pour cette institution, comme la famille".
Pour Philippe Portier, l'invitation de Mme Marion Maréchal-Le Pen aux universités d'été de la Sainte-Baume vient couronner une triple évolution : un FN moins dissuasif pour l'épiscopat ; la droitisation de l'électorat catholique ; une église qui, depuis le pontificat de Jean-Paul II, est appelée à affirmer son identité et à agir (ce qui la conduit à s'impliquer d'avantage dans la vie publique). C'est ce que traduit le directeur de la communication de l'épiscopat en affirmant : "L'église est moins complexée qu'avant par rapport à la chose publique...Cela rejoint le débat sur la laïcité, sur la place de l'eglise dans la société. Il n'y a pas de raison que l'église se taise sur le terrain politique si elle a quelque chose à dire".
L'initiative de l'OSP ne convient cependant pas à tous les catholiques. Monique Baujard, directrice du service national famille et société à la Conférence épiscopale française, déclare que "sur les migrants, les musulmans, l'Europe, les prises de position du FN font peu de cas du respect de la vie humaine. Discuter, pourquoi pas, mais mettre Marion Maréchal-Le Pen en avant comme une catho parmi d'autres, ça me gène. Il est dangereux de faire croire qu'être catho et au FN va de soi".
Le Monde relève aussi que l'évêque de Fréjus-Toulon "est un des représentants les plus offensifs" du catholicisme d'identité (une expression employée par le chercheur Philippe Portier pour construire une typologie du catholicisme français). Il s'agit d'un courant conservateur de l'Eglise qui attire plus particulièrement les jeunes et qui a émergé dans les années 1980 en réaction à la crise du catholicisme des années 1970 ; il bénéficie de soutiens dans l'épiscopat et à Rome. Ce mouvement est très critique à l'égard de ses aînés qui étaient impliqués dans un catholicisme d'ouverture. Ce courant a revigoré des formes de piété anciennes (processions, adorations, etc.), cultive une logique d'entre-soi et n'hésite pas à afficher une visibilité dans une société qu'il juge sécularisée et dont il critique le subjectivisme et le relativisme. Il s'est notamment fortement mobilisé dans le cadre de La Manif pour tous.
Selon le journal Le Monde dans son édition du dimanche 20 - lundi 21 septembre 2015, l'inauguration d'une nouvelle cathédrale à Créteil témoigne de ce catholicisme qui "ose la visibilité", selon une formule employée par le directeur général des Chantiers du cardinal (une association qui a pour but depuis 1933 de restaurer ou créer des édifices religieux en Ile-de-France. La précédente cathédrale construite en 1976 était enfouie dans le paysage urbain et répondait au rejet, voulu par le concile de Vatican II (1962-1965), d'une église triomphante et prosélyte. La nouvelle cathédrale se déploie toute en verticalité avec un clocher culminant à 44 mètres de haut. Elle illustre, selon les termes de l'universitaire Yann Raison du Cleuziou, une "recherche de visibilité [qui] a été mise à l'agenda des évêques de France dans les années 1980" et qui s'inscrit dans la nouvelle évangélisation prônée par le pape Jean-Paul II élu en 1978. Une orientation qui s'est poursuivie sous le pontificat de Benoît XVI, avec la création d'un Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation. Pour Yann Raison de Cleuziou, le besoin de visibilité ne serait pas aussi fort s'il ne se vivait pas "en réponse à l'affirmation des musulmans dans l'espace public. Les identités religieuses se construisent en miroir les unes par rapport aux autres". Il peut être aussi une réaction de l'église catholique confrontée au succès rencontré à partir des années 1980 par les communautes charismatiques, inspirées du protestantisme pentecôtiste.
Pour le sociologue des religions Olivier Bobineau, le pontificat de Jean-Paul II "a relancé l'idée d'une foi fière...C'est 'époque où le clerc doit être visible...Toute une génération de prêtres et de fidèles a été formée à la stratégie identitaire...Il y a un marché du sens et du spirituel à conquérir...Les cultes doivent élargir leur offre".