L'Observatoire de la laïcité a publié en mai 2015 un avis sur le régime local des cultes en Alsace-Moselle.
Ce document rapelle qu'il existe dans cette région un droit local qui est plus large que le simple régime des cultes (aide sociale, remboursement des dépenses de santé, organisation de la justice et des tribunaux, régime de la faillite civile, livre foncier, droit des associations, droit de la chasse, pouvoirs des communes, etc.). Cette législation locale comprend 4 types de sources : des dispositions françaises maintenues par les autorités allemandes après l'annexion de 1871 ; des dispositions du droit allemand introduites par les autorités allemandes ; des dispositions spécifiques à la terre d'Empire d'Alsace-Lorraine ; des dispositions françaises adoptées après 1918, mais applicables à ces seuls départements. Les auditions auxquelles a procédé l'Observatoire ont montré que, "produit de l'histoire mouvementée des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le droit local alsacien-mosellan est un élément structurant de l'identité de ces départements".
Il dresse un état des lieux de l'exercice du culte dans les trois départements concernés, qui est constitué pour l'essentiel par le régime concordataire introduit par le Consulat. Quatre cultes sont reconnus par ce régime : le culte catholique, les cultes protestants luthérien et réformé, le culte israélite. La loi de 1905 ne peut s'appliquer à ces départments annexés depuis le 2 mars 1871 à l'empire allemand (traité de Francfort signé le 10 mai 1871, malgré l'opposition des 35 députés des territoires concernés qui avaient démissionné collectivement lors de l'adoption par l'Assemblée nationale le 1er mars 1871 du traité préliminaire signé à Versailles le 28 février 1871). Ces départements ont alors juridiquement le même statut que les autres länder ; la plupart des lois françaises restent en vigueur, même si progressivement certaines dispositions sont remplacées par le droit allemand. Le régime concordataire n'est pas supprimé, mais subit des modifications. Après le retour de ces territoires à la France, le régime local des cultes est constamment maintenu, avec une tentative avortée pour l'abroger, conduite par le Cartel des gauches après sa victoire électorale en mai 1924, et une coupure lors de l'annexion de ces départements pendant la seconde guerre mondiale par le régime nazi (qui avait aboli le concordat).
Le maintien d'un régime local des cultes entraîne les conséquences suivantes pour les cultes reconnus :
a) en matière d'administration : (i) ces cultes sont administrés par des établissements publics du culte (fabriques, consistoires presbytéraux, consistoires départementaux) qui fonctionnent sur autofinancement ; (ii) malgré des convergences, il existe des différences d'organisation dues à la structure même des cultes : deux évêchés et paroisses curiales et succursales pour le culte catholique ; pour les cultes protestants, paroisses et consistoires qui sont un échelon intermédiaire entre les paroisses et l'échelon central (directoireou conseil synodal) ; ressort rabbiniques et consistoire départemental pour le culte israélite.
b) sur le statut des personnels des cultes : (i) pouvoir de nomination ou simple agrément de l'Etat, pour certaines catégories de personnel (variable selon les cultes) ; (ii) les ministres du culte ou les employés de secrétariat n'ont pas la qualité de fonctionnaires, mais sont des agents de droit public qui perçoivent une rémunération selon le classement indiciaire des agents de la fonction publique (iii) les collectivités locales sont tenues de pourvoir au logement des ministres du culte ou de leur verser une indemnité compensatrice.
c) sur le régime des biens et subventions : (i) les lieux de culte, qu'ils appartiennent à une commune ou à un établissement public du culte, relèvent du domaine public ; (ii) un établissement public doit faire face à ses dépenses de fonctionnement, mais en cas de difficultés financières la commune est tenue d'intervenir ; (iii) les cultes non reconnus peuvent se constituer sous forme d'association et bénéficier de financementspublics.
Le régime local des cultes entraîne les conséquences suivantes pour la société civile :
a) en matière de régime scolaire : la loi Falloux, qui prévoit que l'enseignement primaire comprend l'instruction religieuse, continue à s'appliquer ; de même que continuent à s'appliquer des textes allemands qui édictent que l'enseignement et l'éducation doivent tendre à développer la religion ; le Conseil d'Etat (Syndicat national du second degré, 6 avril 2001) a jugé que l'obligation pour l'Etat d'assurer un enseignement religieux dans le primaire et le secondaire avait une valeur législative, mais qu'elle n'impliquait pas une obligation pour les élèves de suivre cet enseignement ; l'enseignement religieux est délivré à raison d'une heure de cours par semaine, tant dans le primaire (où il est compris dans la durée hebdomadaire de scolarité fixé pour l'ensemble du territoire national) que dans le secondaire ; l'enseignement est assuré par des enseignants volontaires, par des ministres du culte ou par des personnes qualifiées désignées par les cultes et rémunérées par l'Etat ; au nom de la liberté de conscience, les parents d'élèves ont la faculté de dispenser leur enfant de cet enseignement.
b) existence d'universités publiques de théologie : maintien de deux facultés de théologie (une catholique et une protestante) sous forme d'instituts rattachés à l'université de Strasbourg
c) existence des délits d'entrave à l'exercice du culte et de blasphème repris, de facto, du droit allemand.
L'avis de l'Observatoire évoque la question de la suppression du droit local. Il rappelle que les décisions du Conseil constitutionnel (n° 2011-157 du 5 août 2011 et n° 2012-297 du 21 février 2013) posent plusieurs principes : (i) tant qu'elles ne sont pas remplacées par des dispositions du droit commun, les règles spécifiques à l'Alsace-Moselle demeurent en vigueur ; (ii) il ne peut y avoir d'aggravation de l'écart entre les dispositions particulières à ces territoires et le droit commun ; (iii) le régime des cultes de l'Alsace-Moselle est conforme à la constitution.
S'agissant de la question de l'extension du régime local des cultes à d'autres religions, la jurisprudence et la doctrine concluent qu'il s'agit d'un régime dérogatoire qui ne peut qu'être restreint et non élargi. Toute extension serait contraire au principe constitutionnel de la laïcité.
L'avis formule diverses recommandations :
- Abroger le délit de blasphème.
- Aligner la peine prévue pour un trouble à l'exercice d'un culte sur les dispositions de la loi de 1905.
- Inverser les modalités du choix pour l'enseignement religieux (le suivi ou non de cet enseignement ne ferait plus l'objet d'une dispense, mais d'un choix en début d'année scolaire).
- Assurer la possibilité pour tout élève de modifier son choix concernant l'enseignement religieux au cours de sa scolarité.
- Placer l'enseignement religieux en supplément du temps de l'enseignement scolaire commun dans le primaire.
- Supprimer l'obligation de recevoir un complément d'enseignement moral pour les élèves ne suivant pas un enseignement religieux, compte tenu de l'instauration d'un enseignement moral et civique dans les programmes nationaux.
- Réaliser un manuel pratique du droit local.
- Simplifier les relations administratives entre la puissance publique et les cultes.
- Simplifier les conditions de gestion des fabriques.
- regrouper les cartes de circonscriptions avec une déconcentration des décisions au niveau des préfets.