En octobre 2012, le ministre de l’Éducation nationale a désigné trois personnalités pour conduire une réflexion sur l’enseignement de la morale laïque de l’école primaire au lycée. Ce groupe de travail a produit en avril 2013 un rapport intitulé Morale laïque : pour un enseignement laïque de la morale.

Le rapport commence à dresser un état des lieux :

— l’école maternelle donne à l’enfant un premier apprentissage de la socialisation (règles de civilité et devenir élève) ;

— dans le primaire, diffusion d’une éducation morale laïque et d’une instruction civique entre 1882 et 1969 ; à partir de cette dernière date, l’éducation morale disparaît, puis est réintroduite en 2008, tandis que l’éducation civique connaît des éclipses (réinstauration après 1985) ;

— au collège, l’éducation civique est introduite de manière effacée après la 2e guerre mondiale, revivifiée à partir de 1985 et transformée au milieu des années 1990 en formation de l’homme et du citoyen ; diverses disciplines sont mises contribution ; l’effacement de l’enseignement de la morale crée une rupture avec le primaire ;

— au lycée, l’introduction d’une éducation civique en 2000 constitue une innovation, avec là également mise à contribution de plusieurs disciplines ;

— la vie scolaire est aujourd’hui pensée comme un élément essentiel d’une politique éducative devant permettre aux élèves de s’approprier les règles du vivre ensemble et de la citoyenneté (sa contribution est jugée insuffisante).

Prise en charge à la fois dans les enseignements et la vie scolaire, la formation du citoyen a phagocyté les autres aspects de la socialisation de l’élève (et donc la formation morale).

Le rapport donne des principes et orientations pour un enseignement laïque de la morale :

— rétablir le lien entre les deux aspects de la discipline : apprentissage des règles et visée éducative (faire rentrer l’élève dans une culture de responsabilité) ;

— consolider la première étape du lien entre l’individu et le collectif : réhabiliter la notion de l’intérêt général et former l’élève à la conscience de la réciprocité dans le rapport aux autres ;

— inciter l’élève à être un sujet qui agit, par des pratiques sociales et scolaires qui engagent des qualités morales ;

— élargir le socle des valeurs communes à transmettre (en ré-articulant morale/civique et personne/citoyen) : passer des vertus morales générales de la morale laïque traditionnelle (honnêteté, loyauté, courage, etc.) aux valeurs de l’humanisme moderne : dignité, liberté, égalité, solidarité, esprit de justice, respect, absence de discrimination (qui sont également des valeurs constitutionnelles) ;

— réunir les conditions de la transmission de ces valeurs : prendre en compte leur caractère évolutif et vivant ; orienter l’enseignement sur les trois dimensions des valeurs (intellectuelle, psychoaffective, conative) ;

— réaffirmer le droit des enseignants à éduquer et transmettre ces valeurs.

Enfin, le rapport propose des modalités de mise en œuvre d’un enseignement laïque de la morale :

— maintenir un enseignement spécifique de la morale dans le primaire ; ne pas en faire une discipline dans le secondaire ;

— fonder la transmission sur le respect de la liberté de l’élève (en l’exerçant au libre examen : il ne lui est pas proposé une morale, il est conduit à développer sa volonté de comprendre et de s’engager) ; articuler cette transmission autour de deux dimensions : l’enseignement proprement dit et la vie scolaire ;

— différencier les contenus selon le cycle d’enseignement (maternelle, primaire, second degré) ;

— construire l’interdisciplinarité dans le second degré (mettre en œuvre des modules interdisciplinaires consacrés à des sujets de morale ; bâtir un référentiel identifiant les différentes compétences à prendre en compte ;

— intégrer la formation morale dans les projets d’établissements et la vie scolaire ;

— prévoir des modalités d’évaluation adaptées à la spécificité d’un enseignement de la morale ;

— assurer une formation initiale et continue des enseignants et éducateurs à l’enseignement de la morale ;

— des orientations sont données pour le Conseil supérieur des programmes.

Le Conseil supérieur des programmes a présenté, dans des documents publiés le 3 juillet 2014 (pour les écoles primaires et collèges) et le 18 décembre 2014 (pour les lycées), les grandes lignes d’un « enseignement moral et civique » prévu pour la rentrée 2015. La notion d’enseignement laïque de la morale utilisée dans le rapport d’avril 2013 a disparue. Dans la présentation des sept principes sur lesquels est fondé le nouveau programme pour l’école primaire et le collège, le terme laïque n’est utilisé qu’une seule fois, lors de l’exposé du premier de ces principes : « ..l'éducation morale n'est pas du seul fait ni de la seule responsabilité de l'école ; elle commence dans la famille. L'enseignement moral et civique se fait quant à lui dans le cadre laïque qui est celui de la République ». Le texte précise également que cet enseignement « se fonde sur les principes et valeurs inscrits dans les grandes déclarations des droits de l'homme et dans la constitution de la Ve République » (référence implicite à la laïcité).

Le Conseil propose un enseignement qui se substituera à l’instruction civique à l’école primaire, à l’éducation civique (aujourd’hui intégrée au cours d’histoire-géographie) au collège et à l’éducation civique, juridique et sociale au lycée. Cet enseignement doit sortir de la seule transmission de connaissances (règles de la société et de ses institutions) pour mettre l’accent sur « les valeurs qui sous-tendent l’organisation de la société ».

Au stade actuel de la réflexion, pour l’école primaire et le collège, la culture morale et civique ainsi inculquée aura quatre dimensions : culture de la sensibilité (être capable d’identifier ses émotions et de s’exprimer en les contrôlant) ; culture de la règle et du droit (connaissance des règles et compréhension de leur sens) ; culture du jugement (développer ses propres jugements et savoir les confronter) ; culture de l’engagement (envers soi-même et dans la vie collective). Les thématiques de la laïcité sont abordées dans le cadre de la dimension « culture du jugement ».

Pour le lycée, les thématiques de la laïcité ne seraient abordées qu’en classe terminale, dans une rubrique intitulée « Pluralisme des croyances et laïcité ».

Le professeur Pierre Khan, président du groupe de travail qui a conseillé la Commission, précise que cet enseignement (offrant une continuité du CP à la Terminale) fera l’objet d’un horaire dédié, sans exclure les travaux interdisciplinaires.

Ce texte a rapidement suscité des critiques : il ne traduit pas une volonté de poser la laïcité comme un principe d’enseignement, alors que le communautarisme gagne du terrain ; il ne définit pas la laïcité comme colonne vertébrale du vivre ensemble

L’enseignement d’une morale à l’école n’est pas un combat contre d’autres morales ou la négation de la diversité des identités culturelles, c’est au contraire une manière de lutter contre les dérives de l’individualisme et de bâtir du vivre ensemble. De nombreux pays européens qui reconnaissent et financent des cultes (la Belgique par exemple) délivrent dans l’enseignement public des cours de morale non confessionnelle.

Suite aux attaques terroristes de janvier 2015, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education Nationale, dans une intervention datée du 22 février 2015, a présenté une série de mesures destinées à contribuer à une meilleure sensibilisation des élèves aux valeurs de la République : faire du nouvel enseignement moral et civique l’axe d’un parcours éducatif citoyen ; formation initiale et continue des professeurs à cet enseignement ; établissement dans chaque académie d’une « réserve citoyenne » constituée de personnes volontaires pour intervenir dans les établissements ; célébration d’une journée de la laïcité chaque 9 décembre ; intensification de la lutte contre les inégalités.

L'enseignement moral et civique (EMC) a effectivement été inscrit au programme de l'année scolaire 2015-2016, malgré les demandes des syndicats d'enseignants qui souhaitaient un report pour laisser plus de temps à la formation. Cet enseignement remplace l'instruction civique au primaire, l'éducation civique au collège et dans une moindre mesure l'éducation civique, juridique et sociale ((ECJS) au lycée. Il sera délivré du CP à la terminale et bénéficiera d'horaires spécifiquement consacrés à cette matière (environ 300 heures sut toute la scolarité), à raison d'une heure par semaine au primaire et de deux heures par mois dans le secondaire. Pour cette rentrée, l'EMC est assuré dans les collèges par les professeurs d'histoire-géographie ; mais à terme tous les enseignants devraient être impliqués. Une des innovations de la réforme est d'organiser l'EMC dans le primaire et les collèges par cycles de 3 anset non plus en programmes annuels. L'accent est mis sur la laïcité dès le cycle 2 (CP-CE1-CE2) comme "liberté de penser et de croire ou de ne pas croire". En primaire et au collège, le programme est articulé autour de 4 cultures ou valeurs morales et civiques : la sensibilité (comprendre ses émotions et celles des autres), le droit et la règle (le sens des règles du vivre ensemble), le jugement (le pluralisme des opinions), l'engagement dans la communauté des citoyens). Au lycée, l'EMC se situe dans la continuité de l'ECJS, avec un accent mis sur la laïcité. Tous ces éléments d'enseignement s'inscrivent dans le domaine "la formation de la personne et du citoyen" du nouveau socle commun (qui est le bagage que tout élève doit avoir acquis à la fin de la scolarité obligatoire à 16 ans).