a) Formation civile et civique des imams

Les religions d’implantation récente ne bénéficient pas des acquis apportés aux religions historiques par la permanence et la durée de leur encrage dans la société. La configuration des cadres religieux de l’islam en France en est l’illustration. Sur les 1.800 imams[1] en activité, seule une minorité (25 à 30%) est de nationalité française. Sur ce total, 700 à 800 sont rémunérés à temps partiel ou complet ; les imans rémunérés à temps complet sont pour leur quasi-totalité des agents culturels turcs (150), algériens (150) ou marocains (30) en détachement. Les enjeux politiques et sociaux liés à cette situation pouvaient difficilement laisser les pouvoirs publics indifférents.

C’est ainsi qu’a été créé en 1999 l’Institut de l’étude de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) dont la mission est la production et la diffusion vers de larges publics de savoirs scientifiques. En 2003, l’IISMM produit, à la demande du ministre de l’Education nationale, un rapport sur l’apport éventuel de l’Université publique à la formation des imams.

Le gouvernement décide alors de créer un diplôme universitaire (DU) de formation civile et civique. Ces formations sont impulsées et fortement subventionnées par le ministère de l'Intérieur (le coût global d'un diplôme est évalué à 30.000-35.000 €) qui y voit un outil pour promouvoir un islam compatible avec les valeurs de la République laïque. En effet, quand bien même ces formations ne s'adressent pas qu'aux musulmans et aux religieux, leur objectif premier est de favoriser l’intégration des cadres du culte musulman (imams, gestionnaires de mosquées, aumôniers). L’université Paris-IV ayant refusé d’assurer la création de ce diplôme, c’est en définitive la Faculté de sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris qui s’en chargera en 2008. Depuis cette date, de nouveaux DU ont été créés à Strasbourg, Lyon, Montpellier, Aix-en-Provence et Bordeaux. Les attentats terroristes de janvier 2015 à Paris ont accéléré le mouvement de création : Lille-II, Paris-Sud, Toulouse-I, etc. Le contenu pédagogique de ces DU fait l'objet d'une harmonisation, sous l'impulsion du ministère de l'Intérieur. Ils ont une dominante juridique (organisation du culte, principes de la laïcité, droit de la famille) avec une transmission de connaissance sur le contexte socio-historique du droit et des institutions de la France. Ils fournissent également des outils de gestion des institutions cultuelles et proposer une approche universitaire du fait religieux. Les DU ne sont pas régis par les règles applicables aux diplômes nationaux. Cette offre de formation intéresse les cadres religieux principalement musulmans, mais aussi les agents publics.

Le ministère de l'Intérieur prépare un décret qui rendrait obligatoire la détention d'un DU pour les aumôniers salariés des armées, des prisons et des hôpitaux de tous les cultes. Ce projet soulève une réticence de la part de l'Eglise catholique qui y voit une entrave à leur recrutement.

b) Formation théologique des imams

La création d’une formation civile et civique des imams laisse cependant sans réponse le problème de leur formation théologique.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) n’a pas été en mesure d’impulser une mutualisation des moyens de formation théologique des imams. Les grandes organisations musulmanes françaises ont choisi de créer leurs propres filières. C’est ainsi que l’UOIF (émanation française des Frères Musulmans) a ouvert un centre de formation à Château-Chinon et que la Grande Mosquée de Paris a créé l’Institut Al-Ghazali.

En 1996, un théologien protestant, M. Etienne Trocmé, avait proposé la création d’une filière diplômante de théologie musulmane au sein de l’Université de Strasbourg. Il y voyait un moyen de favoriser la paix religieuse dans une société pluraliste. Ce projet n’avait pas abouti. L’université de Strasbourg créera finalement une formation en islamologie (licence et master 1 et 2) qui dispense une formation scientifique et non confessionnelle (histoire de l’islam, civilisation arabo-musulmane, droit musulman, finance islamique, etc.)

François Baroin, dans son rapport de 2003, Pour une nouvelle laïcité, avait plaidé pour la création d’une faculté de théologie musulmane. Le rapport sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics produit en 2006 par le professeur Jean-Pierre Machelon, préconisait, lui aussi, l’instauration d’une formation diplômante en théologie musulmane.

A la suite des attaques terroristes de janvier 2015, l’Observatoire de la Laïcité, dans son avis du 14 janvier 2015, fait la proposition d’un soutien à la création d’établissements privés de théologie musulmane et de formation à l’islamologie.

Lors de la visite qu’il a effectuée en France en avril 2015, Shawki Allam, grand mufti d’Egypte a écrit une tribune publiée dans le journal Le Monde[2]. Après avoir souligné l’attachement de l’islam à la liberté de conscience et d’expression, dénoncé les extrémismes (et condamné sans appel l’attaque contre Charlie Hebdo), il appelle au dialogue et au partage des principes communs aux différentes religions dans le respect des différences de valeurs. Il souligne combien « il est fondamental que ce soit des religieux musulmans certifiés qui soient considérés comme parlant au nom de l’islam ». L’absence de connaissances religieuses véritables chez certains extrémistes les conduit à dévoyer le message de l’islam.

Le 19 septembre 2015 la France et le Maroc ont signé une déclaration conjointe relative à la formation d'imams au sein de l'Institut Mohammed VI de Rabat qui est rattaché à l'université Al Quaraouiyine de Fès. Cet institut qui assure la formation théologique d'imams marocains et étrangers, Une cinquantaine d'étudiants français y recevront une formation d'environ 3 ans dont le coût est pris en charge par le Maroc. Cette formation devra promouvoir un islam du juste milieu conforme aux valeurs d'ouverture et de tolérance, mais aussi pleinement ancré dans les valeurs de la République et de la laïcité. Ces étudiants recevront ensuite en France une formation complémentaire dans le cadre d'un DU de formation civile et civique.


[1] Toutes ces données sont extraites du rapport du Professeur Francis Messner sur la formation des cadres religieux musulmans

[2] édition du mercredi 22 avril 2015