Une jeune femme, embauchée en qualité d’ingénieur d’études par une société de services informatiques, est amenée à intervenir sur le site de Toulouse de Groupama. Ce client se plaint auprès son employeur que le fait qu’elle porte en permanence un voile gêne certains de ses collaborateurs. Lors de son embauche, son employeur lui avait indiqué que, tout en respectant sa liberté d’opinion et de convictions religieuses, il pouvait lui être demandé de ne pas porter son voile lors de contact en interne ou en externe avec la clientèle. Son employeur lui rappelle alors ce principe de neutralité vis-à-vis de la clientèle ; devant son refus d’abandonner le port de son voile, il procède à son licenciement.

La salariée licenciée saisit le conseil de prudhommes de Paris au motif que son licenciement constituait une mesure discriminatoire en raison de ses convictions religieuses. Le conseil, dans son jugement du 4 mai 2011, confirme que le licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse. Elle fait appel devant la cour d’appel de Paris qui, dans son arrêt du 18 avril 2013, confirme la décision du conseil des prudhommes.

La salariée licenciée se pourvoit en cassation au motif qu’il n’a pas été démontré que les restrictions à sa liberté religieuse étaient justifiées (comme prévu par le code du travail et la convention européenne des droits de l’homme) par la nature de la tâche à accomplir ou une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; pour autant que l’objectif de l’employeur soit légitime et ses exigences proportionnées. Elle estime que le port du voile islamique par une salariée d’une entreprise privée en contact avec la clientèle ne porte pas atteinte aux droits ou convictions d’autrui et que la gêne éprouvée à la seule vue d’un signe d’appartenance religieuse ne constitue pas un critère opérant et légitime qui justifie de faire prévaloir les intérêts économiques et commerciaux de l’entreprise sur la liberté fondamentale du salarié.

La Cour de cassation relève que la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 qui crée un cadre général pour lutter contre les discriminations à l’emploi et l’égalité de traitement (religion, convictions, âge, handicap, orientation sexuelle) a été intégrée en droit interne notamment par le code du travail.

Elle note que : (i) la directive permet aux Etats membres de prévoir des différences de traitement lorsque, en raison de la nature de l’activité ou des conditions de son exercice, ces différences sont fondées sur une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ; (ii) en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le juge national a l’obligation d’interpréter son droit interne de façon conforme aux objectifs et dispositions des directives.

Elle constate que, dans un arrêt du 10 juillet 2008, la Cour de justice avait considéré que le fait pour une entreprise de refuser d’engager des salariés allochtones au motif que cela ne constituait pas le souhait de sa clientèle, constituait bien une discrimination.

En conséquence, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 avril 2015, sursoit à statuer et pose à la Cour de justice la question préjudicielle suivante : « Les dispositions de l’article 4 §1 de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent-elles être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d’études, portant un foulard islamique ? ».