Lors de l’examen du pourvoi contre la décision de la Cour d’appel de Paris du 27 novembre 2013, déposé auprès de la Cour de cassation par la salariée licenciée de la crèche Baby Loup, le Procureur général de la Cour avait plaidé dans son avis du 16 juin 2014 pour le rejet de la demande.
S’agissant du qualificatif d’entreprise de conviction (ou de tendance) appliqué par la cour d’appel de Paris à la crèche Baby Loup, le Procureur général :
- Souligne que cette catégorie d’entreprises n’est pas reconnue légalement en France, mais qu’il a été admis dans les années 1990 que « dans certaines entreprises, en général, des associations, des syndicats, des partis politiques, des églises, des groupements à caractère religieux dans lesquels une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée, l’employeur peut exiger de ses salariés une certaine communauté de pensée ou l’adhésion à certaines valeurs défendues par l’entreprise. Dans ces entreprises, il est admis que la liberté religieuse ou d’opinion du salarié puisse être moins grande que dans les autres entreprises ». Il cite des décisions de la Cour de cassation qui ont pris en compte la spécificité des entreprises de conviction.
- Il relève que la notion d’entreprise de conviction a en revanche été consacrée dans le droit de l’Union et dans le droit européen des droits de l’homme.
- Il estime que la crèche Baby Loup ne peut pas être considérée comme une entreprise de conviction laïque, que l’on prenne en considération :
(i) la laïcité politique (neutralité de la sphère publique), qui ne s’applique pas à une entreprise privée non chargée d’une mission de service public ;
(ii) ou la laïcité philosophique qui ne s’applique pas plus à une crèche dont l’objet n’est pas la défense ou la promotion de la laïcité entendue comme pensée philosophique, mais se rattache au champ social ; de ce fait, la jurisprudence du droit européen qui admet la notion de conviction philosophique laïque n’est pas applicable à la crèche (pour qui la laïcité n’est pas un objectif, mais un moyen).
La protection dont bénéficie la vie personnelle du salarié est réduite dans le cas des entreprises de conviction. Il s’agit là d’une notion qui est utilisée par la doctrine et la jurisprudence et qui figure dans le droit européen (mais non transposée en droit français). Une entreprise de conviction est celle où « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée. Autrement dit, l’objet essentiel de l’activité de ces entreprises est la défense et la promotion d’une doctrine ou d’une éthique »[1].
Depuis son arrêt Dame Roy du 19 mai 1978, la Cour de cassation admet que dans les entreprises de conviction la liberté du salarié est moins grande que dans les entreprises ordinaires (quand bien même ces limitations ne figureraient pas de manière explicite dans le contrat de travail). En l’espèce, la Cour a validé le licenciement à la suite de son divorce d’une institutrice employé par un établissement privé confessionnel lié à l’État par un contrat simple. La Cour a confirmé ce principe dans son arrêt Fischer du 20 novembre 1986[2].
Dans une lettre du 17 février 2014 au Président de l’UFAL, l’Observatoire de la laïcité souligne que « notre jurisprudence française actuelle, constante et se voulant respectueuse du principe constitutionnel de laïcité, [arrêts de la Cour de cassation du 19 mai 1978, du 20 novembre 1986 et du 17 avril 1991] circonscrit les règles spécifiques relatives aux entreprises de tendance aux associations religieuses ou aux établissements d’enseignement privé relevant d’une religion déterminée. La doctrine admet également comme entreprises de tendance les partis politiques et les syndicats ou les associations spécifiques ayant pour objet essentiel la promotion d’une doctrine ».
[1] Philippe Waquet, Loyauté du salarié dans les entreprises de tendance, Gazette du Palais, 1996.
[2] La Cour de cassation a validé le licenciement d’une enseignante d’une faculté de théologie en raison d’un comportement incompatible avec les idées qu’elle était chargée de diffuser.