La décision de la Cour de cassation du 19 mars 2013 relative à l’affaire de la crèche Baby Loup est dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), telle qu’exprimée dans son arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013. Les quatre requérants étaient tous de confession chrétienne. Dans deux affaires, les demandeurs revendiquaient le droit de porter au travail des signes vestimentaires d’appartenance religieuse : l’affaire Eweida concernait une employée d’une compagnie d’aviation et l’affaire Chaplin une infirmière. Dans les deux autres affaires, les requérants invoquaient leurs convictions religieuses pour refuser de remplir leurs obligations professionnelles auprès de couples homosexuels : l’affaire Ladele concernait une employée exerçant des fonctions d’officier d’état-civil (et refusant d’enregistrer ces couples) et l’affaire McFarlane un conseiller conjugal (estimant que ses convictions religieuses affectaient négativement ses activités auprès de ces couples).

Cet arrêt marque une évolution conceptuelle favorable aux salariés.

Antérieurement, la Cour s’était montrée plutôt réticente à prendre en compte les convictions religieuses dans l’entreprise ; les motifs fréquemment invoqués étaient : (i) le refus de considérer certaines demandes des salariés comme une manifestation de leurs convictions religieuses ; (ii) l’application de la « doctrine de la liberté de démission » (le salarié peut décider de changer d’emploi s’il n’est pas satisfait).

Avec la décision du 15 janvier 2013, la CEDH est passée à une logique de mise en balance d’intérêts concurrents. Elle énonce que, face à « une restriction de la liberté de religion sur le lieu de travail, au lieu de soutenir que la possibilité de changer de travail écarterait toute ingérence au sein de cette liberté, la meilleure approche consiste à tenir compte de cette possibilité [de démission] à l’heure de mettre en balance [l’ensemble des intérêts en présence] pour déterminer si ladite restriction était proportionnée ». Ce qui signifie que la démission, « au lieu de fonder une logique d’exclusion pure et simple des prétentions de l’employé...vient nourrir la mise en balance d’intérêts concurrents ».

Dans les affaires Eweida et Chaplin la Cour était appelée à apprécier si un juste équilibre avait été ménagé entre les droits des employés et ceux d’autrui. Elle a estimé que les comportements incriminés des salariés étaient bien une manifestation de leurs convictions religieuses et souligné que la manifestation des convictions religieuses était « un droit fondamental » dans une société démocratique. Les décisions ont été différentes sur le fond des deux affaires. Dans l’affaire Chaplin la Cour a estimé que l’interdiction du port d’une croix par une infirmière pouvait être nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des infirmières et des patients[1]. À l’inverse, dans l’affaire Eweida, la Cour a estimé que « trop de poids » avait été accordé au souhait de l’employeur (British Airways) d’afficher une certaine image de son entreprise par rapport au souhait de l’employée de manifester ses convictions religieuses.

Dans les affaires Ladele et McFarlane, la Cour a estimé, à l’identique des affaires précédentes, que les comportements incriminés étaient liés aux convictions religieuses des requérants. Dans le premier cas, elle a jugé l’attitude de la greffière discriminatoire et non justifiable, en regard de la légitimité du but poursuivi par l’employeur (politique d’égalité envers tous les couples) ; la protection des droits d’autrui primant sur les convictions religieuses de la greffière. Dans le second cas, la Cour s’est bornée à constater qu’il n’y avait aucune violation de la liberté religieuse du conseiller conjugal


[1] La Cour a relevé « qu’être autorisé à manifester sa religion en portant ostensiblement une croix [est] un élément important [pour la requérante] et doit peser lourdement dans la balance » ; elle a aussi souligné l’esprit de conciliation de l’employeur qui avait proposé des solutions alternatives (par exemple, port d’une broche).