Quand la salariée licenciée par la crèche Baby Loup s’était pourvue en cassation de la décision de la Cour d’appel de Versailles du 27 octobre 2011 qui avait jugé que son licenciement était légal, le troisième moyen déposé traitait des limites de la liberté religieuse dans les entreprises.
Dans ce troisième moyen la plaignante expose que le règlement intérieur de la crèche est contraire aux dispositions du Code du travail applicable aux entreprises privées (les restrictions ne sont pas justifiées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché) et que le port du voile par la plaignante ne s’est accompagné d’aucun prosélytisme, acte de propagande ou pression.
Sur le troisième moyen, la Cour de cassation, dans son arrêt du 19 mars 2013, estime que l’obligation faite à l’ensemble du personnel de respecter des principes de laïcité et de neutralité a un caractère général, qui est illicite au regard des dispositions du Code du travail. La Cour juge également que cette obligation, en l’absence de dispositions spécifiques dans le règlement intérieur de la crèche, n’interdit pas à ses salariés de porter un signe religieux ; « dès lors que le simple port de ce signe ne s’est accompagné d’aucun prosélytisme d’aucune sorte, d’aucune pression ni propagande, et qu’il est seulement de nature à révéler une appartenance religieuse licite et strictement personnelle, sans que la manière de servir et de travailler en ait été le moins du monde affectée et sans que le port de ce signe, dans un quartier où il est habituel, ait fait obstacle à l’objectif d’insertion des femmes poursuivi par l’employeur ».
La décision de la Cour sur le moyen évoqué supra confirme que « la liberté religieuse des salariés ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise »[1].
Le règlement intérieur d’une entreprise privée est un acte unilatéral de l’employeur qui lui donne un pouvoir important dans l’organisation de l’entreprise, qui découle de son droit de propriété. Cependant, même lorsqu’il agit dans le cadre de son contrat de travail, le salarié conserve des droits pour ce qui relève de sa vie personnelle (concept dégagé par la Cour de cassation à partir de 1994) et l’employeur ne peut y porter atteinte.
La jurisprudence exige qu’il y ait un trouble objectif au sein de l’entreprise pour qu’un licenciement puisse être prononcé pour un motif tiré de la vie personnelle[2].
La jurisprudence considère également que seul un abus peut être sanctionné (exigence de proportionnalité de l’interdiction). Il existe aujourd’hui sur ce point une convergence entre les décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’État.
L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup établit « une mise en balance des droits du salarié avec le pouvoir de direction de l’employeur »[3]. Il définit les limites des atteintes qui peuvent être portées aux libertés individuelles (le port d’un signe religieux étant considéré comme une composante de la pratique religieuse) ; les restrictions doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché.
La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.
[1] Barbara Gomes, Xavier Orgerit et Thomas Ufarte, La liberté d’expression religieuse au travail à l’épreuve des soubresauts du principe de laïcité, Lettre « Actualités Droit-Libertés » du CREDOF, 1er mai 2013
[2] La Cour de cassation déclare illicite un licenciement pour cause d’homosexualité et reproche au juge du fond d’avoir « mis en cause les mœurs du salarié sans avoir constaté d’agissements de ce dernier ayant créé un trouble caractérisé au sein de l’association », affaire Sacristain de Saint-Nicolas du Chardonnet du 17 avril 1991
[3] Barbara Gomes, Xavier Orgerit et Thomas Ufarte, op. cit.