Une française musulmane qui portait la burqa ou le niqab avait introduit en avril 2011 une requête contre la loi du 11 octobre 2010 devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en se fondant sur certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH, réunie en assemblée plénière (Grande chambre), a rendu son arrêt le 1er juillet 2014

La Cour relève que la loi du 11 octobre 2010 représente effectivement « une ingérence permanente » dans le droit au respect de la vie privée et au libre exercice de la religion. Elle estime cependant que cette ingérence est fondée sur deux objectifs légitimes, qui ont été invoqués par la France et qui sont prévus par la Convention.

Le premier de ces objectifs est la sécurité/sûreté : lutte contre la fraude identitaire et nécessité de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens. La Cour observe cependant que : (i) l’interdiction litigieuse n’est pas « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre cet objectif ;(ii) l’interdiction absolue de porter le voile ne peut être considérée comme proportionnée (la jurisprudence de la Cour établit une obligation de proportionnalité des restrictions aux objectifs poursuivis) qu’en cas de « menace générale contre la sécurité publique » (or, la France n’a pas démontré qu’un tel contexte existe).

Le second objectif est la protection des droits et libertés d’autrui ; notion qui recouvre, selon la France, trois valeurs constituant le socle « d’une société démocratique ouverte »: égalité des hommes et des femmes ; respect de la dignité des personnes ; exigences de la vie en société, du vivre ensemble. La Cour n’a retenu que la dernière valeur, en estimant que le port du voile intégral constitue une atteinte possible au vivre ensemble et qu’il met « fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes qui….est un élément indispensable de la vie en société ». La Cour relève une « flexibilité » du concept de vivre ensemble et admet que l’interdiction absolue du voile « puisse paraître démesurée », notamment compte tenu du faible nombre de femmes concernées (ce sera d’ailleurs la position de 2 des juges). La Cour constate « que cette interdiction a un fort impact négatif sur la situation des femmes » qui portent le voile pour des raisons religieuses et souligne « qu’un Etat qui s’engage dans un tel processus législatif prend le risque de contribuer à consolider des stéréotypes affectant certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance ». Elle note cependant que l’interdiction du voile « n’est pas explicitement fondée sur la connotation religieuse des vêtements, mais sur le seul fait qu’ils dissimulent le visage ».

La CEDH a considéré, dans son arrêt du 1er juillet 2014, que la loi du 11 octobre 2010 ne violait pas les dispositions de la Convention, et notamment ses articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (droit à la liberté de penser, de conscience et de religion) et 14 (interdiction des discriminations). La Cour a cependant formulé sur cette loi des réserves importantes, qui ont été présentées supra. Ces réserves auraient pu entraîner une condamnation de la France. Cependant, la Cour a fait preuve de prudence politique sur un sujet sensible. Elle a estimé que cette loi « relevant d’un choix de société, la France disposait d’une ample marge d’appréciation « et qu’elle-même, dans un tel cas de figure se devait de « faire preuve de réserve dans l’exercice de son contrôle de conventionalité dès lors qu’il la conduit à évaluer un arbitrage effectué selon des modalités démocratiques ». De ce fait, elle a jugé que « l’interdiction contestée peut par conséquent passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation du vivre ensemble ».