Les sociologues Solenne Jouanneau et Etienne Pingaud évoquent, dans un entretien publié sur le site La vie des idées, l'histoire de l'organisation de l'islam en France.

Selon eux, l'islam a d'abord été pour les pouvoirs publics une religion immigrée ; c'est à dire, une religion "qui, à l'image des travailleurs qui la pratiquent, n'avait pas vocation à s'installer durablement sur le territoire". Sa structuration s'est déroulée en trois temps :

- Des immigrations coloniales aux années 1970, la structuration du culte musulman est dépendante des structures d'encadrement de la main d'oeuvre immigrée. La religion s'exerce sans lieux dédiés, avec des rassemblements collectifs pour certaines fêtes ; la pratique de la prière est minoritaire. Pendant cette période, La pratique de la religion va même être encouragée par les pouvoirs publics, qui y voient une facteur de facilitation du retour des immigrés dans leurs pays d'origine.

- Dans une deuxième période, il y a émancipation de cet encadrement au bénéfice d'un ancrage dans l'espace municipal ; cette phase est liée à l'installation de familles immigrées dans des quartiers populaires (processus de regroupement familial).  Dès les années 1970, l'islam "en tant que culte, commence en fait à s'autonomiser du reste de la vie sociale". Cette mutation s'opère dans un contexte de précarisation (chômage) et de changement des conditions d'hébergement (disparition des bidonvilles au bénéfice du relogement en HLM ou cités de transit). Pendant cette période, des immigrés lettrés vont jouer un rôle d'intermédiaires avec l'administration et contribuer au développement de l'islam comme structure d'encadrement (création de lieux de culte). On assiste à un délitement des structures traditionnelles et à un foisonnement d'associations locales (qui attirent les jeunes). C'est à partir de la seconde moitié des années 1970 que les pouvoirs publics commencent à se préoccuper d'une intégration des populations musulmanes et que l'islam cesse d'être considéré uniquement comme une religion d'immigrés. Des acteurs publics voient dans certaines pratiques de l'islam un frein à l'intégration et les services de renseignement s'inquiètent du développement de l'intégrisme musulman.

- A partir des années 1990-2000, débute une troisième phase marquée par une institutionnalisation et une professionnalisation des structures représentatives de l'islam. Cette religion devient un thème sensible pour les pouvoirs publics et se pose le problème d'une intervention de l'Etat. Le statut des imams constitue notamment un sujet de préoccupation, traité au début des années 1990 par le canal des relations diplomatiques avec les pays d'émigration. Pour les municipalités aussi, l'islam devient une question épineuse (notamment en ce qui concerne la construction des mosquées et la participation à des cérémonies religieuses).