Le fait que l’islam est considéré aujourd’hui comme la seconde religion en France est un des facteurs qui ont conduit le ministère de l’Intérieur qui est en charge des cultes, à se préoccuper de l’organisation des relations de l’Etat avec cette religion. Relations qui sont rendues complexes par l’absence de hiérarchie religieuse et la diversité des origines géographiques des fidèles.

Imaginé dès 1999 par le ministre de l’Intérieur de l’époque (M. Jean-Pierre Chevènement), le Conseil français du culte musulman (CFCM) est créé en 2003, sous la forme d’une association de la loi de 1901, sous l’impulsion de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Cette structure a pour mission : de défendre la dignité et les intérêts du culte musulman ; de favoriser et d’organiser le partage d’informations et de services entre les lieux de culte ; d’encourager le dialogue entre les religions ; d’assurer la représentation des lieux de culte musulmans auprès des pouvoirs publics. Le CFCM, qui a une compétence nationale, est complété à l’échelon local par des Conseils régionaux du culte musulman (CRCM). Ces diverses structures sont organisées en assemblées générales, conseils d’administration et bureaux. Ces organes de gestion sont composés de membres élus par les associations qui gèrent les lieux de culte.

En 2013, pour surmonter des dissensions entre les différentes composantes de l’islam de France qui paralysaient son fonctionnement depuis plusieurs mois, le CFCM avait adopté une réforme prévoyant une direction collégiale et une présidence tournante.

Le CFCM, vu par beaucoup de musulmans comme un organisme imposé par l’Etat, continue à souffrir des rivalités qui opposent les pays (Algérie, Maroc, Turquie) qui soutiennent les diverses associations intervenant au sein d’une communauté très diversifiée. Un avis largement partagé est que le CFCM n’est pas représentatif des cadres et des fidèles de cette communauté, notamment par son éloignement des nouvelles générations de musulmans. Il n’a pas non plus été en mesure d’assurer une harmonisation de la formation des imans.

Le constat sur les difficultés de fonctionnement du CFCM et ce contexte ont conduit M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à demander aux musulmans en février 2015 de réformer l’organisation de leur culte. Le ministre, avec pour objectif de « consolider un islam fidèle aux valeurs de la République », lance une consultation nationale de l’ensemble « des acteurs de l’islam de France » sur la création d’une instance de dialogue plus large que les actuels CFCM et CRCM ; une instance inspirée de celle qui existe depuis 2002 entre les pouvoirs publics et l’Eglise catholique. Cette nouvelle structure, qui n’entraînerait pas la disparition du CFCM, devrait permettre, selon le ministre, l’expression d’un islam de tolérance, dans le respect des principes de la laïcité. La volonté est de traiter et de régler les problèmes concrets qui se posent : formation des imams, place des écoles confessionnelles, abattages rituels, fêtes religieuses. M. Cazeneuve précise qu’à travers cette initiative l’Etat n’a pas vocation à organiser le culte musulman, mais entend fixer des objectifs (le dialogue) et des principes (ceux de la République).

L’initiative de M. Cazeneuve pose le problème des limites du rôle de l’Etat dans ce domaine. M. Ghaleb Bencheikh, islamologue et écrivain, constatant lui aussi l’échec du CFCM, souligne que l’intervention du ministre de l’Intérieur est légitime dans son souhait d’avoir des interlocuteurs représentatifs de l’islam en France. Il ajoute cependant que c’est aux croyants de créer eux-mêmes et de gérer les instances qui doivent les représenter ; ce qui nécessite « un sursaut salvateur de la part des citoyens musulmans », pour ne pas laisser la place à « des hiérarques autoproclamés d’un côté et, de l’autre [à] l’immixtion du politique ». Il n’appartient pas au ministre de présider une structure qui gère la pratique d’un culte. Il considère que « l’autorité publique, dont l’intervention doit être minimaliste, pourrait jouer, en l’espèce, le rôle d’une simple catalyse ».[1]

Les premières réactions, à la proposition du ministre de l’Intérieur, des nouvelles générations de la communauté musulmane (qui constituent un public prioritaire pour les pouvoirs publics) sont marquées par la circonspection. M. Nabil Ennarsi, président du Collectif des Musulmans de France, voit dans la démarche du gouvernement « une volonté de domestication de l’islam de France ». Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) exprime des craintes de même nature. Des interrogations existent aussi sur l’identité des acteurs de cette consultation.[2]

De manière totalement extérieure à la problématique des relations institutionnelles entre l’Etat et l’islam, les attentats de janvier 2015 ont remis à l’ordre du jour la volonté de certains cadres musulmans de doter l’islam d’une structure propre en matière de théologie. C’est ainsi qu’a été installé le 29 mai 2015 un Conseil théologique musulman de France (CTMF), dont l’objectif est « d’aider les musulmans français à vivre pleinement à la fois leur citoyenneté française et leur religion, à travers essentiellement la consécration du recours aux positions médianes dans la pratique et le rapport aux autres ». Plusieurs personnalités issues de l’UOIF sont à l’origine de cette tentative de promouvoir un islam du juste milieu[3] ; mais d’autres courants de l’islam sont également représentés. Il semblerait que, face à la pression du radicalisme, d’autres initiatives de ce type sont susceptibles de voir le jour.

 


[1] Article publié dans l’édition du journal Le Monde du vendredi 27 février 2015

[2] Voir article du journal Le Monde dans son édition du mardi 3 mars 2015

[3] titre d’un article du journal Le Monde (édition du 31 mai-1er juin 2015)