Le Conseil de l’Europe définit l’islamophobie comme « la peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport…[qui peut se traduire contre les individus ou des institutions] par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestation plus violentes ».

Les phénomènes de radicalisation de certains fidèles (participation au djihad en Syrie ou en Irak) et les attentats islamistes en France de janvier 2015 ont créé un contexte nouveau, qui se traduit notamment par une poussée de l’islamophobie.

En 2013, le Collectif contre l’islamophobie en France (le CCIF est une association privée créée en 2003 et reconnue d’intérêt général en 2011), a recensé 691 actes islamophobes (640 visant des individus et 51 visant des institutions)[1].

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a mis en place en 2011 un Observatoire national contre l’islamophobie, dans le contexte d’une convention-cadre signée en 2010 avec le ministère de l’Intérieur. En 2014, l’Observatoire a recensé 133 actes antimusulmans (55 actions et 78 menaces) ; ces données étant en nette baisse par rapport à 2013 (226 actes dont 62 actions et 164 menaces). En revanche, les attentats islamistes de janvier 2015 ont entraîné une forte augmentation des actes islamophobes : du 7 au 20 janvier 2015 (soit en seulement 13 jours), les services de police et de gendarmeries ont enregistré 128 actes antimusulmans (33 actions et 95 menaces).

De janvier à juin 2015, le ministère de l'Intérieur a recensé 79 actes et 197 menaces antimusulmans (en 2014 sur la même période il y avait eu 27 actes et 45 menaces). Les seules violences contre les mosquées connaissent une hausse préoccupante. De janvier à juin 2015, le ministère de l'Intérieur a comptabilisé plus de 50 actes visant des mosquées.Le ministère estime que, moins que leur nombre, c'est leur niveau de violence qui est nouveau et préoccupant (coups de feu, tentatives d'incendie). Faute de preuves, les poursuites contre ce type d'actes sont difficiles à engager. Le CCIF voit une négligence suspecte dans nombre d'affaires classées ou requalifiées. Les forces de l'ordre assurent actuellement la protection d'environ 1.000 mosquées.

Le caractère islamophobe de certains actes (tags ou déprédations contre les mosquées et les cimetières, agressions de femmes voilées, discriminations au travail, etc.) ne prête pas à discussion. Mais, force est de reconnaître que ce concept est plus difficile à cerner quand il s’agit de qualifier un discours ; les contours sont plus flous et laissent la porte ouverte aux polémiques[2].

Selon la définition donnée ci-dessus, l’islamophobie n’est pas une critique de l’islam en tant que religion. Mais où situer la frontière entre la critique licite des dogmes et des pratiques d’une religion et un discours islamophobe ?

Pour les tribunaux, la réponse est simple : les injures, les propos diffamatoires ou les provocations à la discrimination et à la violence qui visent des individus ou des groupes en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l’islam sont répréhensibles ; les propos qui visent l’islam en général relèvent de la libre critique d’une religion.

Les sciences sociales posent de manière différente le problème du discours islamophobe. Elles font le constat d’une généralisation de la stigmatisation des pratiques religieuses des musulmans et d’un amalgame entre fondamentalisme et islam. Certains chercheurs estiment que l’islamophobie repose, comme le racisme, sur une logique « d’essentialisation » qui consiste « à ramener en permanence un individu à sa religiosité supposée, en négligeant la pluralité de ses autres identités…Elle consiste à réduire les populations musulmanes…à un agir strictement religieux… Elle repose sur cette idée fausse qu’il existerait un seul islam que l’on pourrait prendre dans son ensemble…Au nom de ce principe, l’islamophobie assimile l’islam visible, qui relève de la simple pratique religieuse, à l’islamisme… Toute demande religieuse, y compris la plus banale, est considérée, avec inquiétude, comme une poussée intégriste » [3]. L’islamophobie, en associant une idéologie à des pratiques sociales d’exclusion ou de discrimination, institue « une logique de préjugés…Elle nie la complexité de l’individu pour lui conférer les attributs supposés d’un groupe d’appartenance »[4].

Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde diplomatique, déclarait déjà il y a une dizaine d’années « qu’il y a un recoupement entre racisme anti-maghrébin et islamophobie, sans doute renforcé par la visibilité d’une partie de la jeune génération qui s’affirme musulmane sur la scène publique et ne rase plus les murs ». Parmi les facteurs qui expliquent la crainte de l’islam, Marwan Mohammed retient la tradition coloniale et jacobine de la France. Cette dernière a « plus d’un siècle de colonialisme derrière elle. Cette histoire nourrit un regard et des préjugés qui infériorisent, encore aujourd’hui, les populations postcoloniales ». Il ne considère cependant pas qu’il faille confondre racisme et islamophobie : « Tous les musulmans ne sont pas maghrébins et tous les maghrébins ne sont pas musulmans ».

Les évènements de janvier 2015 ont également détérioré la perception de l’islam par le citoyen ; une perception qui faisait déjà de l’islam une religion différente des autres. Une enquête Ipsos-Sopra-Steria d’avril 2015 illustre la crispation sur l’islam : 41% des personnes interrogées pensent que « l’islam porte malgré tout en lui des germes de violence et d’intolérance » (contre seulement 33% en janvier 2015) ; il n’y a plus que 59% de personnes qui estiment que « l’islam est une religion aussi pacifique que les autres et le djihadisme est une perversion de cette religion » (il y en avait 66% en janvier 2015) ; une majorité de citoyens (54%) juge que la religion musulmane n’est « pas compatible avec les valeurs de la société française » (il n’y en avait que 51% en janvier 2015).

L’Union des organisations islamistes de France (UOIF), issue du mouvement des Frères musulmans, a organisé en avril 2015 sa 32° rencontre annuelle. Son président, Amar Lasfar, a mis en avant la loyauté des musulmans envers la République et le travail de prévention contre la radicalisation effectué dans les quartiers. Un article du journal Le Monde[5] rapporte un conflit générationnel mis en évidence lors d’un des forums. Les jeunes générations « ont péniblement vécu les lendemains des attentats et, pour beaucoup, estiment leurs aînés trop conciliants à l’égard d’un climat et d’un système politico-judiciaire qu’ils jugent, en France, imprégnés d’islamophobie et où ils se sentant marginalisés ». A Amar Lasfar qui se disait « musulman à la mosquée et laïc dans la rue » et assurait qu’en « devenant français nous avons signé un pacte : respecter le cadre laïc », un des intervenants a répliqué « Moi, je ne me suis engagé à rien. Je suis né, et par ma naissance je me suis vu attribuer des droits. C’est le respect de ces droits que nous demandons ». La porte-parole du CCIF a assuré que « la lutte contre l’islamophobie participe aussi à la lutte contre la radicalisation car l’augmentation des discriminations et des violences contre les musulmans nourrit le radicalisme ». Des musulmans ayant manifesté contre les attentats de janvier 2015 disent ne s’être jamais autant sentis français que ce jour là. Mais d’autres, « se sont sentis pris en otages, coincés entre ce qu’ils ont vécu comme une suspicion généralisée contre les musulmans et le sentiment d’être étrangers aux phénomènes de radicalisation ».

L’emploi du mot islamophobie ne fait pas l’unanimité.

Leïla Babes, professeure de sociologie des religions à l’université catholique de Lille, réfute le bien-fondé de ce concept et affirme que l’islamophobie ne se distingue en rien du racisme anti-immigré et de l’arabophobie.

L’essayiste Caroline Fourest considère que « ce terme a semé une immense confusion. Il y a, bien sûr, du racisme anti-musulman. Mais l’islamophobie est dénoncée, dans l’arène internationale et notamment à l’ONU, par des pays qui s’insurgent contre les caricatures de Charlie Hebdo et qui veulent pénaliser le blasphème. Ils veulent en réalité empêcher la libre critique de l’intégrisme et des religions ».

Pour le philosophe Alain Finkielkraut, « ce concept relève de la terreur intellectuelle » (il serait une ruse destinée à faire taire les critiques sur l’islam).


[1] Les données fournies par le CCIF sont critiquées par Jean-Christophe Moreau, spécialiste de l’histoire du droit, dans le Huffington Post le 27 décembre 2014 et par Isabelle Simon, journaliste et co-auteur d’un livre sur l’islamophobie avec J-C Moreau, dans une tribune du journal Le Figaro publiée le 12 décembre 2014

[2] Voir l’article publié dans le supplément Culture et idées du journal Le Monde en date du samedi 28 février 2015

[3] Marwan Mohammed, sociologue au CNRS et auteur d’Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman

[4] Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po (centre d’études européennes)

[5] édition du mardi 7 avril 2015