L’historien et écrivain Emmanuel Todd voit dans le mouvement qui a réuni des millions de citoyens lors des marches républicaines des 10 et 11 janvier 2015, une survivance d’un catholicisme zombie[1]. Il constate qu’une partie de la France n’était pas là (les jeunes des banlieues, les ouvriers de province). Il considère que ce sont les classes moyennes supérieures qui ont manifesté et que cette communion nationale laïque était une « imposture…la crise religieuse [d’une nation] qui se ment à elle-même ». Pour lui, c’est la France blanche inégalitaire (dans ses comportements pratiques et inconscients) et héritière des anciennes terres catholiques qui a défilé, pour affirmer un pouvoir social, une domination. Il estime qu’une subculture catholique périphérique perdure malgré le déclin de l’église catholique, détermine à leur insu les individus et favorise l’avènement d’une néo-République inégalitaire.

Manuel Valls, Premier Ministre, lui répond dans une tribune publiée dans le journal Le Monde[2]. Tout en reconnaissant la faiblesse de la participation des quartiers populaires, il considère que l’imposture n’est pas là où Olivier Todd la place. La première imposture est de vouloir faire croire que le 11 janvier est une attaque contre l’islam. La seconde tient dans les confusions entretenues sur la liberté d’expression, alors que doit être expliqué le rôle joué en France par la caricature dans la construction de l’opinion publique. La troisième est la théorisation sans fondement d’une néo-République ; ce qui est faire le jeu des extrémismes. La quatrième est une définition erronée donnée de la gauche. Le Premier Ministre invite à résister au pessimisme ambiant et, tout en étant lucide sur les failles de notre société, à réaffirmer notre confiance dans l’idéal républicain.

Dans la même ligne de pensée, Régis Debray, tout en pointant l’atmosphère de maccarthisme démocratique du 11 janvier(Alain Badiou ironisait lui aussi sur l’injonction à manifester : « C’est tout juste si Manuel Vals n’envisageait pas d’emprisonner les absents »), se réjouit de cette communion laïque, [résurgence spontanée d’un] sacré républicain, [d’un] nous [qui, à l’époque du chacun-pour-soi et du je-m’en-fout, nous fait encore du bien ».

Le journal Le Monde[3]écrit que le retour du religieux (alors que les sociologues prédisaient son déclin) et les attentats de janvier 2015 « ont ravivé les guerres de tranchées entre les fratries de la gauche intellectuelle et politique ». Le quotidien distingue : (i) la filiation voltairienne (illustrée par Michel Onfray et Caroline Fourest) qui continue à regarder les religions avec le plus grande méfiance ; (ii) ceux qui « considèrent que la religion musulmane est un refuge pour les populations sur lesquelles s’exerce la plus forte oppression [et que l’islam] serait donc à défendre contre les forces de la Réaction » ; c’est ce qu’affirme le journaliste Edwy Plenel en écrivant que « la haine de la religion qu’exprime envers l’islam et ses pratiquants un laïcisme intolérant, infidèle à la laïcité originelle, est l’expression d’un déni social : d’un rejet des dominés et des opprimés tels qu’ils sont ». Cette difficulté à prendre position face à l’islam a conduit le philosophe américain Michael Walzer à déplorer « une gauche plus soucieuse d’éviter les accusations d’islamophobie que de condamner le fanatisme islamique ».


[1] article du journal Le Monde dans son édition du vendredi 8 mai 2015

[2] édition du vendredi 8 mai 2015

[3] article dans son édition du vendredi 8 mai 2015