Aujourd’hui s’affrontent les idéologies nationaliste et communautariste. Le nationalisme oublie que la France actuelle, comme l’a écrit Edgar Morin, est le résultat d’un processus millénaire d’intégration de peuples et de cultures hétérogènes auxquels la Nation donne une unité multiculturelle. Le communautarisme n’est pas, comme le souligne Pierre Hayat dans le numéro 785 de ReSPUBLICA, « la simple reconnaissance de l’existence de communautés…La communauté communautariste s’enferme en elle-même et isole l’individu du reste de la société…Le principe du communautarisme est le différentialisme, c’est-à-dire la différence affichée comme une valeur absolue. Mais son coup de force majeur est sa prétention proprement politique de faire valider par l’ensemble de la société son propre différentialisme. Le communautarisme ne réclame pas seulement le droit d’être différent : il revendique des droits différents, en l’occurrence des privilèges…Le communautarisme détourne de tout projet démocratique et d’une expression simplement citoyenne, libre de toute appartenance communautaire. Au mieux, il enferme dans une impasse ; au pire, il entraine à la guerre ethnico-religieuse ».

La montée du communautarisme s’explique par de nombreux facteurs : individualisme de la société (le communautarisme offre des solidarités et des repères), changement de nature de l’immigration, crise économique et sociale, crise d’identité, etc. Face à ce danger, comment préserver la capacité de francisation (pour reprendre le terme employé par Edgar Morin) de la Nation ?

Les réponses apportées par la République se sont appelées assimilation ou intégration.

  1. Assimilation

Selon Laeticia Van Aeckhout (dans L’immigration) « L’assimilation se définit comme la pleine adhésion par les immigrés aux normes de la société d’accueil, l’expression de leur identité et leurs spécificités socioculturelles d’origine étant cantonnée à la seule sphère privée. Dans le processus d’assimilation, l’obtention de la nationalité, conçue comme un engagement "sans retour", revêt une importance capitale. ». C’est d’ailleurs ce terme qui est employé dans le code civil pour définir les conditions d’acquisition de la nationalité française.

L’assimilation (melting-pot) implique une transformation culturelle subie par des groupes minoritaires au contact d’un groupe majoritaire. Les tenants de cette approche considèrent que couper tout lien avec le pays d’origine est le meilleur moyen d’insérer l’étranger dans la société ; au fil du temps, les immigrés se rapprocheraient ainsi de plus en plus des natifs, jusqu’à devenir indiscernables ; en sortant de sa culture d’origine, l’immigré sortirait de sa marginalité.

Ce schéma idéal se révélant aujourd’hui en décalage avec la réalité (la convergence ne se produit pas : les différences se maintiennent à travers les générations), on note l’émergence d’une nouvelle théorie : l’assimilation segmentée. Le modèle classique d’assimilation (évoqué ci-dessus) devient un cas particulier d’une typologie plus complexe de modes d’incorporation dans une société d’accueil. La théorie de l’assimilation segmentée considère que le processus d’incorporation se déploie en 3 modèles multidirectionnels : (i) mobilité sociale ascendante (acculturation et intégration économique à la classe moyenne) ; (ii) descendante (acculturation et intégration aux classe défavorisées : l’assimilation culturelle est réussie mais ne s’accompagne pas d’une réussite sociale) ; (iii) intégration économique dans la classe moyenne, mais préservation des valeurs de la communauté. Avec l’assimilation segmentée, il n’y a plus un processus uniforme d’adaptation, mais un processus qui dépend d’une multitude de facteurs individuels (éducation, maîtrise de la la langue, durée du séjour) ou contextuels (statut social de la famille, lieu de résidence, caractéristiques de la communauté).

  1. Intégration

La politique française migratoire a abandonné à la fin des années 1970 l’idée de l’assimilation des migrants au bénéfice du concept d’intégration, quand ils ont cessé de n’être qu’une force de travail et qu’ils sont devenus habitants de la cité. En France, pour les forces de gauche, l’assimilation avait une mauvaise image, parce qu’elle sous-tend un rapport de force rappelant la période coloniale. Selon Laeticia Van Aeckhout, « l’intégration exprime davantage une dynamique d’échange, dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout où l’adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de la société d’accueil, et le respect de ce qui fait l’unité et l’intégrité de la communauté n’interdisent pas le maintien des différences ». L’intégration est un processus qui permet, tout en adoptant pour le groupe minoritaire les valeurs et la culture du groupe majoritaire, de conserver certains traits culturels initiaux ; construire un creuset commun en respectant les différences.

Le concept d’intégration, qui n’a fait l’objet d’aucune définition juridique (contrairement à l’assimilation), avait reçu une consécration officielle avec la création en 1989 du Haut conseil à l’intégration. Le HCI n’exerce cependant plus ses fonctions depuis le 24 décembre 2012, faute de nomination des membres de son collège. Le Haut-Conseil à l’intégration estimait qu’il faut voir dans l’intégration non pas une voie intermédiaire entre assimilation et insertion mais bien un processus spécifique : il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité. Selon le HCI, le modèle français d’intégration se fonde sur l’indifférenciation entre les hommes, c’est en ce sens qu’il est universaliste. Chaque être vaut pour lui-même indépendamment de la communauté à laquelle il appartient. Ce modèle permet à tous d’accéder à une égalité de droits et de devoirs en permettant à chacun de conserver son particularisme, aussi spécifique soit-il, dès lors que sont respectées les lois de la République et les règles de la vie sociale. Garder des liens avec sa culture d’origine est un droit. Mais une condition est nécessaire : il faut que ces liens s’établissent ou se maintiennent dans le respect des règles de la vie sociale, des lois de la République.

Assimilation et intégration sont des concepts aux contenus très différents. Certains se demandent toutefois si le terme intégration n’est pas simplement venu remplacer, sous le poids d’une idéologie politique, le terme assimilation, rendu illégitime par l’épisode colonial. Ceci, sans que soit modifiée pour autant la logique sous-jacente posant les places du groupe minoritaire et du groupe majoritaire (c’est à l’individu minoritaire ou au groupe minoritaire lui-même de s’intégrer au groupe majoritaire).