Françoise Champion, chercheuse du CNRS, s’est intéressée aux logiques qui ont présidé à l’évolution historique en Europe des systèmes de relations entre l’État et les Églises. Ses travaux l’ont conduite à identifier deux processus : la laïcisation et la sécularisation[1].

La laïcisation est le produit d’une intervention volontariste du politique pour supprimer le contrôle de la religion sur l’État. C’est l’État qui définit l’espace légitime d’intervention de chaque institution ; à ce titre, il impose une forme à la religion, en tant qu’institution sociale.

Jean-Paul Scot distingue trois étapes dans la laïcisation de l’État en Europe occidentale : (i) l’affirmation de l’autonomie du pouvoir temporel (par exemple les libertés gallicanes en France) ; (ii) l’affirmation de la tolérance civile et religieuse (les Réformes protestantes et les guerres religieuses) ; (iii) l’affirmation de l’État laïque.

La logique de laïcisation a prévalu dans les pays de l’Europe du sud où les décisions prises par la puissance publique ont conduit à des situations conflictuelles avec la religion dominante, le catholicisme. En effet, l’église catholique, organisée de manière hiérarchique et supranationale et disposant elle-même d’un État souverain (le Saint-Siège) avait une forte capacité de résistance qui a conduit à des conflits frontaux avec les États. De ce fait, la voie de la laïcisation n’a pas donné lieu à des processus linéaires ; elle s’est traduite par des avancées et des reculs, au gré des régimes politiques en place.

La laïcisation ne doit pas être vue sous le seul angle d’une séparation des Églises et de l’État qui implique une neutralité de l’espace public ; elle met aussi et simultanément en œuvre la liberté de conscience. Au nom de cette liberté de conscience, la laïcisation n’impose pas aux citoyens de se séculariser. Laïciser, ce n’est pas instaurer un athéisme d’État : la neutralité s’applique à la sphère publique, elle ne concerne pas la sphère privée. Chacun reste libre de vivre sa foi, s’il en a une, comme il le souhaite et de pratiquer la forme de religion qui lui convient, dans le respect du vivre ensemble.

Jean-Paul Willaime formule cette distinction en opposant l’État séculier/laïque (Secular State) qui reconnaît la diversité des opinions religieuses et l’État séculariste qui prône une sécularisation de la société. Ce concept de Secular State (expression que les documents internationaux eux-mêmes traduisent par État laïque) a été développé aux États-Unis, notamment par les juristes D.E. Smith et M. Galander. Ils donnent trois critères pour le définir : (i) la liberté de religion (liberté de conscience, liberté de s’associer pour des buts religieux, intervention très limitée de l’État dans les seuls buts de la santé, de la morale ou de l’ordre public) ; (ii) la citoyenneté laïcisée (les droits et devoirs de chaque citoyen ne sont pas liés aux appartenances religieuses) ; (iii) la séparation (la légitimité de l’État provient d’une secular source : le consentement des gouvernés ; l’État ne promeut ni ne finance une religion). Un État, dans cette optique, peut être plus ou moins secular.

Ce secularism, malgré une proximité sémantique, n’a pas la même signification que le concept sociologique de sécularisation. Il est plus proche de la définition donnée par Ferdinand Buisson de l’État laïque « neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés » où existe « la liberté de tous les cultes » et où « l’exercice des droits civils [est] assuré en dehors de toute conviction religieuse ».


[1] Entre laïcisation et sécularisation. Des rapports Eglises-Etat dans l’Europe communautaire, dans Le Débat n° 77, novembre-décembre 1993