Selon la pratique française, la laïcité résulte de la mise en œuvre conjointe de quatre principes : liberté de conscience, égalité de droit de toutes les convictions, neutralité de l’État et séparation des Églises et de l’État. Qu’en est-il de l’application de ces principes au niveau européen ?

Le principe de liberté est satisfait.

Tous les pays signataires de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de la Charte des droits fondamentaux respectent la liberté de penser, de conscience et de religion. Notons cependant que le délit de blasphème, aboli en France (sauf en Alsace-Moselle), subsiste sous des formes variées dans divers pays européens (Allemagne, Autriche, Danemark, Grèce, Italie, Irlande, Danemark).

En revanche, le second principe (égalité de droits de toutes les convictions) n’est pas totalement respecté.

Il y a bien une égalité des individus, mais le système des religions d’État, des religions sous concordat ou des religions reconnues crée une inégalité entre les religions. Ces Églises maintiennent des relations privilégiées avec l’État qui leur procurent des avantages et privilèges dont ne disposent pas les confessions non reconnues.

Le troisième principe (neutralité confessionnelle) n’est pas non plus respecté.

En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale « a légitimé la prééminence concrète du droit à avoir une religion sur le simple principe formel de liberté de religion. Par suite, l’État doit reconnaître les besoins religieux des citoyens et leur donner les moyens de les satisfaire. En Italie, la Cour constitutionnelle a reconnu de même que si la laïcité est un principe de la République, cette laïcité refuse l’indifférence de l’État devant les religions [1]» ; ce qui conduit là aussi l’État à une obligation de satisfaction des besoins religieux des citoyens.

De manière générale il y a dans ces pays reconnaissance du rôle public joué par les églises dans différents secteurs (santé, éducation, assistance sociale, aide aux personnes handicapées, etc.). C’est dans un sens identique que le rapport demandé en 2006 par le Président de la République Nicolas Sarkozy à une commission présidée par le Professeur Jean-Pierre Machelon, préconisait « la création d’une forme particulière de reconnaissance d’utilité publique pour les activités religieuses ».

S’agissant du quatrième principe (séparation de l’État et des Églises), notons que le 3ième alinéa de l’article 17 du Traité modifié sur le fonctionnement de l’Union européenne reconnaît la contribution spécifique des religions et associations philosophiques et ouvre un dialogue entre l’Union et les religions ou associations. Ce dialogue existe depuis de nombreuses années : Jacques Delors avait créé en 1989 une cellule de prospective qui consulte des organisations accréditées (par exemple, la Commission des épiscopats de la communauté européenne ou la Conférence des églises européennes réformées).

Dialoguer est constructif. Mais quand, lors de la négociation du Traité d’Amsterdam (1997), le Saint-Siège tente de faire reconnaître « la place spécifique des églises et des autres communautés religieuses dans l’identité et les cultures des États membres, ainsi que dans l’héritage commun des peuples européens » ou bien encore quand, en septembre 1998, Jacques Santer[2] invitait les Églises à « donner un sens et une interprétation à la construction européenne »,nous ne sommes plus dans le cadre d’un dialogue. Nous sommes proches de la « saine et légitime laïcité [3]» préconisée par le Saint-Siège, qui estime que « le christianisme a donné sa forme à l’Europe….[et que] les différentes Institutions étatiques ou européennes doivent agir en sachant que leurs systèmes juridiques ne seront pleinement respectueux de la démocratie que s'ils prévoient des formes de saine collaboration avec les Églises et les Organisations religieuses [4]». Le président de la Conférence des églises réformées européennes exprime une position identique sur le rôle des Églises qui « ont vocation et expérience à participer à toutes les dimensions de la vie sociale[5] ». La norme au niveau européen ne semble pas être la séparation des Églises et des États, mais leur coopération.


[1] Colloque Europe et laïcité de Nice, 8-9 décembre 2011

[2] Président de la Commission européenne de 1995 à 1999, intervention lors de l’initiative Une âme pour l’Europe »

[3] Allocution prononcée le 23 mars 1958 par le pape Pie XII

[4] Exhortation apostolique Ecclesia in Europa de Jean-Paul II (2003)

[5] Rapport Cultes, équité, laïcité (2002)