Certains auteurs considèrent qu’il existe effectivement une laïcité européenne

Des sociologues ont fait de la laïcisation une sous-catégorie de la sécularisation ; la première concernant le niveau institutionnel, la seconde s’appliquant aux aspects culturels. C’est ainsi que Karel Dobbelaere distingue : (i) une « sécularisation latente » qui n’est pas le résultat d’une action volontaire, mais un effet induit par l’évolution de la société ; (ii) une « sécularisation manifeste » qui serait une action volontaire pour instaurer une différenciation fonctionnelle entre le sous-système religieux et les autres sous-systèmes sociétaux et qui représenterait la laïcisation.

Émile Poulat[1] considère que la séparation n’est pas nécessaire à la laïcité et que c’est seulement dans le cas français qu’il y aurait eu une identification radicale, mais mythique, entre ces deux termes. Il écrit aussi qu’il y a « autant de régimes laïques que de situations nationales ».

Jean Baubérot déduit de la diversité des héritages historiques qu’il existe plusieurs types de laïcité, toutes aussi légitimes les unes que les autres. Il leur donne différents qualificatifs[2] : autoritaire, séparatiste, ouverte, de coopération, de collaboration, etc.

Dans un ouvrage collectif[3] dirigé par Philippe Portier et Jacqueline Lagrée, les auteurs de diverses enquêtes remettent en cause l’idée que la modernité s’est construite contre la religion et grâce à la laïcité. Ils considèrent que la constitution de la laïcité est redevable aux productions théologiques chrétiennes, juives et musulmanes. Ils constatent que la laïcité fait une part plus belle qu’on ne le pense à l’expression du religieux dans la sphère publique. La vision française restrictive de la laïcité ignorerait la souplesse même du modèle français (il n’y a plus de séparation stricte) et méconnaîtrait la complexité de la réalité étrangère. Dans l’introduction, Philippe Portier souligne que le livre « place sous la catégorie de la laïcité l’ensemble des régimes d’existence sociale qui ont, à partir du XVIIIe siècle, substitué à la philosophie théocentrique du politique un modèle d’institution populaire du gouvernement, ouvrant lui-même sur la reconnaissance des libertés individuelles ».

Roberto Blancarte n’inclut pas la séparation formelle Etats-Eglises dans la définition de la laïcité. Il propose de définir le seuil minimal où la laïcité résulte du processus de laïcisation, comme « un régime de coexistence dont les institutions politiques sont essentiellement légitimées par la souveraineté populaire et non plus par des éléments religieux ». Cette définition rappelle que l’étymologie de laïcité provient du grec laos, le peuple distinct du clergé. Elle se relie à deux idées centrales : un principe horizontal de souveraineté, l’idée de l’individu titulaire de droits. Enfin, elle suggère que la laïcité peut exister en tension avec l’État lui-même : Blancarte insiste sur « la subsistance de formes de sacralisation du pouvoir même sous des schémas non strictement religieux » qui peut induire des luttes « pour une laïcisation de la laïcité ».


[1] Notre laïcité publique (2003) et Scruter la loi de 1905. La République française et la religion (2010)

[2] Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre raison et passion (2005) ; Jean Baubérot et Micheline Milot, Laïcités sans frontières (2011)

[3] La modernité contre la religion ? (2010)