Un article du journal Le Monde[1] fait état, selon les services de renseignement, d’une accélération de la croissance du salafisme chez les musulmans. « Il y aurait désormais 90 lieux de culte d’obédience salafiste dans l’Hexagone sur 2.500 recensés : le double d’il y a cinq ans ». Cette évolution inquiète les autorités dans la mesure où de nombreux candidats au djihad sont passés par ce courant avant de se radicaliser.

Les salafistes pratiquent une interprétation littérale des textes sacrés qui implique de vivre selon les règles de la charia ; ce qui se traduit par une visibilité forte dans la société : barbe non rasée, pantalon rentré dans les chaussettes, port de l’abaya ou du jilbab, etc. Ils dénoncent dans leur grande majorité la violence physique.

Dans le rapport intitulé Quelle politique de contre-radicalisation en France ?, publié en décembre 2014, qui a été rédigé par Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, à la demande de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, le salafisme présenterait deux dimensions particulièrement importantes :

(i) « Il n’est pas une pratique religieuse, mais la revendication d’une identité politico-religieuse totalitaire qui se concrétise dans deux domaines : sa prétention à représenter l’ensemble des musulmans de la planète (l’Oumma)…la ghettoïsation qu’il souhaite imposer à la communauté française musulmane par la formulation de revendications clivantes sans cesse renouvelées… »

(ii) « Son extrême sensibilité géopolitique, exacerbée par son idéologie complotiste et par les multiples interventions occidentales dans le monde arabo-musulman ».

Leur progression est plus marquée dans les grands centres urbains (région parisienne, Rhône-Alpes, Provence-Côte d’Azur) ; mais ils se développent aussi dans les villes moyennes (Brest), voire en zone rurale où se multiplient de petites communautés. « Les prédicateurs tirent souvent leur popularité des quartiers paupérisés, en mettant en avant les discriminations liées à l’origine ethnique, au port du voile ou aux contrôles au faciès…Les salafistes étendent généralement leur influence en mettant la main sur des salles de prière existantes après des coups de force comme à Marseille, Martigues, Aubagne, La Rochelle ».

Samir Amghar[2] explique l’essor du salafisme par l’effondrement des Frères musulmans représentés par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) : « Dans les années 1990, on se réislamisait sous l’influence des Frères qui avaient pris en main la socialisation religieuse. Aujourd’hui, on le fait avec le salafisme ». Pour Haoues Seniguer, le salafisme est un moyen « de s’imposer identitairement et politiquement ». Selon lui, deux évènements auraient été déterminants : la loi de 2004 sur le port du voile à l’école et la loi de 2010 sur la dissimulation du visage dans l’espace public.

L’islamologue Rachid Benzine constate depuis 25 ans la montée en puissance d’un islam identitaire (souvent plus politique que spirituel), qui se traduit notamment aujourd’hui par des départs de citoyens français pour le djihad. Depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989, l’islam s’érige en société parallèle où « le besoin d’affirmer une identité différente de l’identité française s’exprime dans des comportements de consommateurs : c’est l’islam de l’alimentation halal et des habits ostentatoires…Au vivre ensemble est de plus en plus préféré le vivre entre soi ». Une troisième génération de musulmans qui se considère mal aimée ou stigmatisée par la société française se réfugie dans ces comportements, encouragée en cela par les « grands courants internationaux contemporains de réislamisation du monde, qu’il s’agisse des salafistes wahhabites- Arabie saoudite – ou des Frères musulmans – Egypte ».

Rachid Benzine explique que le salafisme est un mouvement « de représentation fantasmée du passé qui relève d’une illusion collective, d’une sorte de mythe de réconfort ». Ce mouvement s’est exprimé plusieurs fois dans les siècles passés, à évolué et revêt des formes multiples. Il existe aujourd’hui des salafismes radicaux essentiellement sunnites, qui s’approprient des modèles consignés (hadiths) deux siècles après la mort de Mahomet. Les lectures qu’ils font du Coran sont des lectures idéologiques de type apocalyptique (fin des temps). Selon Rachid Benzine, « c’est ce à quoi correspond l’islam d’Al Qaida, celui de Daesh ou encore celui de Boko Haram ». Ces mouvements, placés dans des positions de rivalité et de surenchère fondamentaliste, font de nombreux contresens dans leur lecture du Coran. Rachid Benzine voit dans le salafisme « du danger, car il y a négation de l’évolution du monde et du croire » ; leurs discours simplificateurs portent auprès de jeunes en quête de repères et de sens. Selon lui, il est nécessaire que le ministère de l’Education nationale développe l’enseignement de l’histoire de l’islam pour éveiller les jeunes au pluralisme de la pensée religieuse. Il regrette la faible représentativité des institutions musulmanes officielles et que « ces instances restent arcboutées sur un discours toujours apologétique de l’islam ».

 


[1] Dans son édition du jeudi 2 avril 2015

[2] Salafisme d’aujourd’hui, Michalon, 1011