En juillet 2015, le député Sébastien Pietrasanta, rapporteur du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, a remis au ministre de l'Intérieur un rapport intitulé La déradicalisation, outil de la lutte contre le terrorisme.

Ampleur et spécificité de la radicalisation de l'islam

Le nombre de français ou résidents étrangers en France (1.800) impliqués dans les filières djihadistes en Syrie et en Irak fait que nous ne sommes pas confrontés seulement à un problème de société, mais plus globalement à un problème sociétal. Ce phénomène de radicalisation se nourrit notamment des évolutions sociétales et sociales des dernières années (éclatement des familles, chômage, ghettoïsation des quartiers, etc.) qui conduisent la jeunesse à la contestation, au désengagement social et politique, voire au communautarisme. Le contexte international contribue aussi à la radicalisation, qui affecte l'ensemble des pays occidentaux.

 "La radicalisation s’inscrit au carrefour d’un processus psychologique (un sentiment victimaire de non-reconnaissance, voire de préjudice) et d’une logique idéologique, à fondement identitaire etcommunautariste, en rupture avec l’idée de pacte républicain et de démocratie. Elle est également souvent favorisée par une rupture sociale ou familiale. Elle est également souvent favorisée par une rupture sociale ou familiale...La question religieuse est en réalité peu présente...Il s'agit plutôt d'une quête existentielle dans un contexte de mal-être psychologique et social". Selon l'anthropologue Dounia Bouzar, les jeunes radicalisés se rattachent à un kit prêt à penser offert par Daech (accueil, projet, valorisation, prothèse identitaire, argent). Internet joue un rôle de facteur d'accélération pour cette radicalisation, tandis que les bouleversements sociétaux amplifient le problème (qui concerne les 2èmes générations et les convertis).

Face à cette situation il n'existe pas de modèle probant de déradicalisation, avec une grande diversité et une portée limitée des expériences étrangères. L'Union européenne s'efforce cependant d'identifier et de diffuser les bonnes pratiques. Le constat est qu'il est difficile de définir un processus de déradicalisation, qu'il n'existe pas de solution miracle et que le succès est lié à la combinaison de multiples facteurs.

Centrage sur la prévention

Face à la radicalisation, le gouvernement français a jusqu'ici centré son action sur la prévention. C'est dans ce sens que, dès avril 2014, a été lancé un plan anti-djihad qui a été renforcé par. Ce dispositif articule un volet répressif qui s'est traduit par la loi du 13 novembre 2014  relative à la lutte contre le terrorisme (s'ajoutant à un arsenal juridique très complet) et un volet préventif.

Il s'agit : de contrarier les déplacements des terroristes ; d'intensifier la lutte contre les filières djihadistes ; de développer la coopération internationale ; de conduire des actions préventives (contre-discours et dispositif de réinsertion individualisé). Ce dispositif (précisé par la circulaire du 29 avril 2014 du ministère de l'Intérieur) s'appuie sur la création d'un Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) ; la plateforme de signalement a été rattachée à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Un rôle majeur de lutte contre la radicalisation est confié aux préfets des départements et l'ensemble du dispositif est piloté par le Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD). Ce dispositif offre de nombreux atouts (clarté, efficacité du pilotage, maillage du territoire). Il est cependant perfectible en ce qui concerne les procédures de recueil des signalements et de prévention des départs. Il devra aussi être étoffé avec une mobilisation des administrations locales et des relais efficaces apportés par le tissu associatif.

Programmes dédiés et suivi individualisé

La mise en oeuvre de véritables actions de déradicalisation nécessite de conjuguer programmes dédiés et suivi personnalisé.

Il est nécessaire d'améliorer le dispositif d'identification et d'évaluation des radicalisés, sachant qu'il n'existe pas de profil-type. Il convient d'organiser une prise en charge individuelle pour s'adapter à chaque cas. Il faut renforcer les moyens pour un suivi en milieu ouvert avec une place centrale accordée à l'échange dans une logique de médiation (la prison n'est pas toujours la solution la plus efficace) ; ce qui suppose l'intervention de structures pluridisciplinaires.

Des parallèles peuvent être faits entre la radicalisation djihadiste et les dérives sectaires (la religion constituant dans 90% des cas le prétexte d'un engagement djihadiste) ; ils ont été relevés par l'anthropologue Dounia Bouzar, présidente du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) dont l'action est fondée sur la prévention et l'accompagnement. Le rapport considère cependant qu'un individu souhaitant rejoindre le djihad ne peut pas être considéré systématiquement comme une victime d'une emprise sectaire.

Le rapport considère que le regroupement carcéral des radicalisés (pour éviter le prosélytisme) peut être utile sous certaines conditions (notamment quant au choix des détenus).

Le rapport préconise la construction d'une contre-discours sur les réseaux sociaux (facebook, twitter) en améliorant la coopération entre les autorités et les entreprises du numérique, en créant un passeport Internet pour les élèves et un guide pour les parents. Pour être d'avantage efficace, le contre-discours doit être porté principalement par des associations de la société civile sur lesquelles la jeunesse peut s'identifier (sans exclure les acteurs publics). a ce titre le rapport préconise la création d'une grande fondation.

Au delà de la question de la déradicalisation, il est nécessaire de s'interroger sur la place de l'islam en France. "Il convient de tracer une ligne de partage claire entre les revendications légitimes - auxquelles il convient de donner satisfaction pour ne pas nourrir le sentiment d’exclusion/ de victimisation dont se nourrissent les communautarismes - et celles qui ne le sont pas". Deux enjeux sont à prendre en considération : la formation des cadres religieux musulmans et la constitution d'un patrimoine immobilier cultuel adapté aux besoins.