L'historien et philosophe Marcel Gauchet déclare dans un article publié dans l'édition des 22-23 novembre 2015 du quotidien Le Monde que la mondialisation provoque une rupture avec l'organisation religieuse du monde, qui touche de plein fouet l'islam et que le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux.

Il considère que les attentats du 13 novembre 2015 sont bien un phénomène religieux, quand bien même notre idée de la religion est éloignée de ces comportements. Les causes économiques et sociales jouent tout au plus un rôle de déclencheur. Ce qui est arrivé nous oblige à reconsidérer ce que représente le fondamentalisme religieux, et plus particulirement le fondamentalisme islamique qui a une forte spécificité.

Ce fondamentalisme est une conséquence de la mondialisation. Aujourd'hui, la société échappe à la religion qui en a été dans le passé l'organisatrice ; cette sortie de la religion (qui n'est pas simplement une sortie de la croyance) est un phénomène planétaire. "La mondialisation est une occidentalisation culturelle du globe sous l'aspect scientifique, technique et économique, mais ces aspects sont en fait des produits de la sortie occidentale de la religion". Il y a un lien direct entre le mode de pensée économique et scientifique et la sortie de la religion". Il n'est donc pas étonnant "que la pénétration de cette modernité soit vécue dans certains contextes comme une agression culturelle provoquant une réactivation virulente d'un fonds religieux en train de se désagréger".

Pour M. Gauchet, le fondamentalisme musulman ne peut pas être considéré comme un réarmement du religieux. En Europe, le spirituel relève de l'intime et ne prend pas la forme d'un mouvement politique. Ce qui est à l'opposée du vrai fondamentalisme qui est "un projet politique d'inspiration révolutionnaire". Ceux qui veulent remettre l'islam au pouvoir dans la vie de la société ont un projet radical de société qui est autre chose que la religion.

Le fondamentalisme n'est pas propre à l'islam, "il se manifeste dans toutes les traditions religieuses du monde, sous des formes plus ou moins activistes. Toutefois on est bien obligé de constater que le fondamentalisme islamique est particulièrement prégant et vigoureux". Pour comprendre cette radicalité, il faut se souvenir de la proximité de l'islam avec les traditions judéo-chrétiennes de l'Occident ; une proximité qui engendre rivalité et concurrence. Et ce d'autant plus que l'islam, dernier venu des monothéismes, se pense comme la clôture d'un parcours. Un autre facteur de conflictualité spécifique est le ressentiment qui peut exister dans la conscience musulmane : "la religion la meilleure est en même temps celle d'une population qui a été dominée par les Occidentaux à travers le colonialisme et qui le reste économiquement".

Si le message fondamentaliste fascine une partie des jeunes des citées paupérisées, c'est parce qu'il "entre en résonance avec les difficultés de l'acculturation de cette jeunesse immigrée à une culture individualiste en rupture totale avec ses repères, y compris communautaires, qui viennent de sa tradition religieuse". Il y a chez ces jeunes à la fois une fascination et un rejet de cette culture individualiste, qui sont au "coeur du processus mental qui fabrique le djihadisme occidental". Par exemple, chez un converti, l'appropriation de l'extérieur d'une religion dont il reste très souvent ignorant, est un geste de rupture pour devenir un individu au sens occidental du mot ; par ce geste il affirme une foi personnelle, alors même que "dans une religion traditionnelle la foi personnelle compte moins que les rites observés et ce ritualisme est essentiel dans l'islam coutumier". Mais en même temps, cette adhésion individuelle "est un moyen de se nier comme individu, puisqu'on va se mettre au service d'une cause pour laquelle on donne sa vie. Cette contradiction exprime une souffrance très particulière, liée à une situation sociale et historique trs spécifique".

Dans les quartiers des 10° et 11° arrondissements de Paris où ont eu lieu les attentats les plus meurtriers du 13 novembre 2015, deux jeunesses se faisaient face : la première est un individualisme qui se vit sans questions dans une hyper socialisation et la seconde est un individualisme contradictoire, "à la fois très au fait de cette réalité et complètement déstabilisée par elle". Les jeunes fondamentalistes "ont tiré sur ce qu'ils connaissent, sur ce à quoi ils aspirent tout en le refusant radicalement. Ils se détruisent de ne pas pouvoir assumer le désir qu'ils en ont".

Pour M. Gauchet, "le fondamentalisme est en dépit de tout et malgré lui une voie d'entrée à reculons dans la modernité...Il ne constitue pas une menace capable de mettre en question la manière d'être de nos sociétés. Bien sûr il peut tuer beaucoup de gens, faire des dégâts épouvantables et créer des sitiations atroces, mais il ne représente pas une alternative en mesure de nous submerger".