Quand notre constitution proclame un respect de toutes les croyances ou quand la loi de 1905 affirme que la République ne reconnaît ou ne finance aucun culte, cela signifie qu’elle traite tous les cultes ou croyances sur un pied d’égalité et que l’Etat est non confessionnel. Cela ne veut pas dire que l’Etat nie l’existence des cultes/croyances ou réfute le rôle qu’ils peuvent être amenés à jouer dans la société[1]. Qui plus est, la loi de 1905 garantit le libre exercice de ces cultes. L’Etat prévoit et régule les institutions qui permettent leur fonctionnement (par exemple, les associations cultuelles visées au titre IV de la loi de 1905 ou le régime juridique spécifique prévu pour les congrégations religieuses). En traitant ces aspects juridico-institutionnels, l’Etat ne donne pas une légitimité à une religion ou à ses dogmes ; il se borne à octroyer à des associations ayant un caractère cultuel le bénéfice d’avantages administratifs ou fiscaux. L’Etat autorise aussi, sous certaines conditions, une occupation de l’espace public (processions) et finance des services publics d’aumôneries. L’éducation nationale a inscrit dans ses programmes le fait religieux et l’Etat se préoccupe de former ses fonctionnaires à la connaissance des religions. Des représentants de cultes siègent es-qualités dans des instances consultatives, etc.

Du fait de cette visibilité des cultes dans la société, le dialogue entre l’Etat et les religions répond à un besoin légitime et existe donc dans la France laïque. C’est ainsi que de nombreux ministres de l’Intérieur se sont préoccupés des relations avec l’Islam : dans le passé, ont vu le jour le Conseil de réflexion sur l’islam de France (CORIF), puis le Conseil français du culte musulman (CFCM) et aujourd’hui Bernard Cazeneuve réunit une nouvelle instance de dialogue. Depuis 2002 (sous le gouvernement Jospin) les pouvoirs publics et des représentants qualifiés de l’Eglise catholique tiennent régulièrement des réunions de concertation.

Si l’existence même de ce dialogue entre l’Etat et les religions ne paraît pas sérieusement remise en cause, en revanche, son contenu et ses manifestations soulèvent parfois des questionnements. Il arrive que les religions nouvelles se plaignent d’être moins bien traitées que les religions historiques. La participation d’autorités publiques à des manifestations organisées par un culte soulève parfois des polémiques. C’est ainsi que l’Association des libres penseurs de France (ADLPF) a critiqué les propos tenus par le Ministre de l’Intérieur lors de la clôture des Etats généraux du christianisme dans la cathédrale de Strasbourg. Le communiqué publié le 13 octobre 2015 par cette association souligne que c’est la deuxième fois en deux semaines que le ministre s’exprime dans une cathédrale. Il déplore que M. Cazeneuve ait rappelé qu’une « proximité spirituelle entre la République et l’Eglise…avait parfaitement bien été soulignée parle pape Jean-Paul II dans sa célbre homélie du Bourget en 1980…[et que]…la République elle-même ne fit pas toujours preuve de tolérance à l’égard d’une église perçue comme un redoutable adversaire, plutôt que comme une source d’inspiration dans la recherche du bien public ».

Dans un entretien publié en novembre 2015 dans la revue L'éléphant, Catherine Kintzler estime que "la laïcité est menacée par les visées de grandes religions hégémoniques. Elles sont toujours prêtes à grignoter le pouvoir civil...Dans ce contexte, tous, croyants et non-croyants, nous avons plus que jamais besoin de la laïcité, non pas pour « vivre ensemble » dans une fusion de bons sentiments, mais pour faire vivre la liberté qui nous réunit fraternellement en association politique...ce qui menace parallèlement la laïcité, c’est la perméabilité d’une partie du personnel politique et intellectuel à la normalisation par le religieux à laquelle il faudrait « s’adapter ». C’est sa réticence, pour ne pas dire plus, à promouvoir le modèle politique laïque et avec lui le minimalisme républicain". C. Kintzler opère une distinction entre "le renoncement au régime laïque et le renoncement à l’idéal laïque. Le renoncement au régime laïque serait un changement de régime politique, soit qu’on bascule dans un régime de reconnaissance officielle des religions, soit qu’on régresse totalement dans un régime religieux hégémonique...Quant à l’idéal laïque, il n’est heureusement pas porté exclusivement par le personnel politique et les « décideurs », et il ne l’a jamais été : ce sont les citoyens qui le portent, qui le soutiennent, qui proclament leur attachement à cet idéal, citoyens qui, par ailleurs, peuvent pratiquer de façon fervente une religion (ce n’est pas la modération religieuse qui fait la laïcité, c’est la coupure entre le moment religieux et le moment politique, et c’est la respiration formée par cette coupure). Le régime laïque n’aurait pas pu s’installer sans un soutien populaire, sans une réflexion et un soutien militants. Si ce soutien disparaît, la laïcité, même si elle reste inscrite dans la loi, devient une coquille vide".


[1] Voir sur ces sujets l’article d’Alain Boyer, Comment l’Etat laïque reconnaît-il les religions ?, dans les Archives de sciences sociales des religions (janvier-mars 2005)