La contractualisation avait été envisagée par les promoteurs de la loi comme un processus transitoire : un itinéraire passant du contrat simple au contrat d’association et devant conduire à terme à une intégration des établissements privés au sein de l’enseignement public. Cela n’a pas été le cas. Alors que l’existence des contrats avait été prévue pour une période limitée, ils ont été pérennisés : les contrats simples pour le premier degré et les contrats d’association pour les premier et second degrés. Les intégrations ont été rares.

À l’identique du processus engagé par la loi Debré pour l’enseignement général, la loi Rocard du 31 décembre 1984 fait participer les établissements privés au service public d’enseignement agricole. Elle institue un contrat de droit public entre l’État et ces établissements (en distinguant 3 catégories d’établissement). En contrepartie des engagements pris, ces établissements peuvent recevoir des subventions de fonctionnement et d’investissement (sauf pour les dépenses de première construction). Il est également ouvert une possibilité d’intégration des établissements privés dans l’enseignement public.

La loi Debré et ses lois modificatives constituent une atteint indirecte au principe de neutralité de l’État (indirecte, car il ne s’agit pas de financement d’un culte). Elles induisent cependant d’importants transferts au bénéfice d’établissements privés, en majeure partie confessionnels[1] et qui lui doivent leur survie. Au-delà de leurs effets financiers, ces lois font naître un véritable système d’intégration de l’enseignement privé à l’enseignement public. En échange du contrôle exercé par l’État, émerge une quasi-obligation de financement de l’enseignement privé.

Selon les données fournies par le ministère de l’Education Nationale, à la rentrée de septembre 2012, il existait 8.803 établissements d’enseignement privé, dont 7.891 avaient passé un contrat avec l’Etat ; ces établissements scolarisaient plus de 2 millions d’élèves. Selon une enquête des services rectoraux, 96% des élèves scolarisés dans les établissements sous contrat l’étaient au sein de l’enseignement catholique, 2% dans le réseau laïque, 1% dans le réseau israélite et 0,5% dans les réseaux de l’enseignement en langue régionale. La répartition des établissements privés sous contrat était la suivante : 93,2 % relèvent du réseau de l’enseignement catholique, 2,25% du réseau laïque, 1,6% du réseau juif et 1,45% du réseau d’enseignement en langue régionale. Exprimé en nombre d’établissements, il y avait environ 7.355 établissements pour le réseau d’enseignement catholique, 5 établissements pour le réseau protestant, 3 établissements pour le réseau musulman et 128 établissements pour le réseau israélite.

Il existe actuellement 3 établissements d’enseignement privé confessionnel musulman sous contrat. S’y ajoutent moins d’une vingtaine d’établissements qui ne bénéficient pas de ce statut ; plusieurs de ces établissements ayant d'ailleurs engagé une procédure pour passer sous contrat. L'enseignement privé confessionnel musulman scolariserait environ 2.000 élèves. Une dizaine d'établissements s’est regroupée au sein d’une Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEPM), créée sous l'impulsion de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ; certains spécialistes voyant dans cette initiative "une volonté de faire perdurer l'identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes". Selon l’historien Bruno Poucet, spécialiste de l’enseignement privé, le développement des écoles privées musulmanes pourrait être lié à l’émergence d’une bourgeoisie musulmane qui « souhaite offrir un enseignement de qualité avec une dimension religieuse à ses enfants…[et qui est] comme d’autres parents à la recherche d’établissements d’excellence leur permettant d’éviter les écoles publiques de leur secteur ». Bernard Godard, auteur de La question musulmane en France, constate lui aussi une évolution des aspirations de la classe moyenne musulmane qui ne privilégie plus le placement de ses enfants dans l'école publique, qui était un moyen pour être dans la République. Il semble également que l'adoption de la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires a accru les départs vers l'enseignement privé.

Eu égard à l’importance de la population musulmane en France (estimée par le ministère de l’Intérieur à 5-6 millions), le nombre réduit d’établissements d’enseignement privé confessionnel musulman (et notamment ceux sous contrat) peut appeler à débat. Appartient-il pour autant à un Etat laïque d’agir pour corriger une situation dont le traitement relève d’initiatives et financements privés ? Les arguments majeurs avancés en faveur d’une telle intervention sont : (i) de mettre fin, au nom de la cohésion sociale, à une situation discriminatoire et inégalitaire (de nature à encourager la radicalité) ; (ii) de mieux contrôler le fonctionnement de ces établissements, et notamment leur financement. Ce n’est pas ce que pense le Comité National d’Action Laïque (CNAL) qui s’est ému d’un communiqué de presse diffusé le 26 février 2015 par le Parti Socialiste et qui préconisait le développement des établissements sous contrat. Le CNAL considère que le renforcement de la cohésion républicaine ne passe pas par une incitation à un repli communautaire, mais par une intégration des citoyens dans l’école publique laïque. Selon le CNAL, il n’appartient pas « à l’état d’aider à la promotion d’une religion au nom d’une prétendue égalité de traitement ».

Selon les données du Secrétariat général de l’enseignement catholique, les chiffres spécifiques à cet enseignement pour 2012-2013 sont les suivants :

-          9.000 établissements (entendus au sens d’unités pédagogiques), dont environ 4.720 écoles primaires, 1.580 collèges et 2.180 lycées ;

-          plus de 2.000.000 élèves (17% de l’effectif national), dont 293.000 en maternelle, 555.000 en élémentaire, 660.000 en collège, 470.000 dans les lycées et 50.000 dans l’enseignement agricole ;

-          110.000 étudiants dont près de 60.000 en université, plus de 10.000 en classes préparatoires et près de 40.000 en BTS ;

-          130.000 enseignants (hors enseignement agricole) qui exercent dans des classes sous contrat, dont 41.000 dans le 1er degré, 44.000 au collège et 44.000 dans les lycées ; l’enseignement agricole emploie 4.700 enseignants ; s’ajoutent les personnels salariés par les établissements qui représentent l’équivalent d’environ 52.000 postes à temps plein.

Les tentatives pour refermer la brèche ouverte par la loi Debré n’ont pas été couronnées de succès. La constitution d’un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale » (SPULEN) était un des engagements du candidat F. Mitterrand lors des élections présidentielles de 1981. Le projet de loi préparé par Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, entraîne le 24 juin 1984 une mobilisation massive d’opposants à la réforme. Le Président de la république annonce lors d’une intervention à la télévision le retrait du projet ; ce qui provoque la démission du ministre et du Premier ministre, Pierre Mauroy.


[1] Pour l’année 2013, les transferts aux établissements privés opérés par l’État sont estimés à 7 milliards € pour le budget de l’Education nationale et 550 millions € pour le ministère de l’Agriculture ; s’y ajoutent (évaluations pour 2012) les transferts des communes pour 500 millions € et ceux des départements et régions pour 550 millions €.