Les transferts opérés par les budgets des collectivités publiques au bénéfice d’établissements privés sont fondés sur le principe de liberté de l’enseignement prévu à l’article 1er de la loi Debré. En se saisissant de ce principe, le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions qui donnent une légitimité constitutionnelle à ces transferts. Il a opéré de manière habile une conciliation entre diverses obligations nées de la Constitution : le principe de laïcité, l’obligation d’organiser un enseignement public gratuit et laïc, la liberté de l’enseignement.

Dans sa décision 77-87 du 23 novembre 1977 relative à la loi Guermeur du 25 novembre 1977, le Conseil considère : (i) que la liberté d’enseignement constitue un des principes fondamentaux de la République ; (ii) que la Constitution n’exclut pas l’existence de l’enseignement privé, ni l’octroi de subventions à cet enseignement ; (iii) que l'obligation imposée aux maîtres de respecter le caractère propre de l'établissement leur impose un devoir de réserve, mais ne peut pas être interprétée comme une atteinte à leur liberté de conscience.

Dans sa décision 84-184 du 29 décembre 1984 relative à la loi de finances du 29 décembre 1984 pour l’année 1985, le conseil estime qu’il n’est pas porté atteinte à la liberté de l’enseignement par le caractère limitatif attribué aux crédits qui servent à la rémunération des personnels enseignants des établissements sous contrat.

Dans sa décision 84-185 du 18 janvier 1985 relative à la loi du 25 janvier 1985 sur l’adaptation de la loi Debré à la décentralisation, le Conseil constitutionnel : (i) considère que la suppression de l'obligation imposée aux maîtres de respecter le caractère propre de l'établissement, prévue par le projet de loi qui lui est soumis, est constitutionnelle (ce caractère propre étant garanti par d’autres dispositions de la loi Debré) ; (ii) souligne que la reconnaissance du caractère propre des établissements privés n’est rien d’autre que la mise en œuvre du principe de liberté de l’enseignement ; (iii) déclare non constitutionnelle une disposition du projet de loi qui aurait permis aux collectivités locales de s’opposer à la signature d’un contrat d’association ou simple (au motif que cela pourrait conduire à une inégalité dans l’exercice d’une liberté publique).

Dans sa décision 93-329 du 13 janvier 1994 relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales, le Conseil : (i) rappelle que la liberté d’enseignement constitue un des principes fondamentaux des lois de la république et que la loi peut légitimement prévoir des aides des collectivités territoriales aux établissements privés d’enseignement ; (ii) annule une disposition de la loi qui prévoyait que ces collectivités pouvaient attribuer des subventions d’investissement aux établissements sous contrat selon des modalités qu’elles fixent librement, au motif que cette absence de limites est de nature à porter atteinte au principe d’égalité de traitement entre ces établissements ; de plus, les établissements publics risqueraient de se trouver dans une situation plus défavorable que les établissements privés.

Dans sa décision 99-414 du 8 juillet 1999 relative à la loi d’orientation agricole, le Conseil : (i) réaffirme le caractère fondamental de la liberté d’enseignement et la compatibilité entre le préambule de la constitution de 1946 (2e alinéa : « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ») et l’octroi d’une aide de l’État à l’enseignement privé ; (ii) considère que le principe d’égalité implique qu’élèves du public et du privé doivent jouir du même accès à la préparation et à la participation aux concours publics ; mais que ce principe ne fait pas obligation à l’État de financer dans les établissements privés toutes les formations délivrées dans le public.

Dans sa décision 2009-591 du 22 octobre 2009 relative à la loi Carle du 28 octobre 2009, le Conseil rappelle que « le principe de laïcité ne fait pas obstacle à la possibilité pour le législateur de prévoir, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, la participation des collectivités publiques au financement du fonctionnement des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association selon la nature et l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement. »

Il résulte de cet ensemble de décisions que le Conseil considère, ainsi que précisé dans ses commentaires à la décision 2009-591, que :

-          « La liberté d’enseignement interdit toute interprétation monopolistique du treizième alinéa du préambule de 1946 au profit de l’enseignement public ».

-          « Le législateur ne peut porter atteinte ni à l’existence de l’enseignement privé, ni à son caractère propre ».

-          Il est loisible au législateur « de prévoir une aide publique dans un cadre approprié : besoin scolaire reconnu, disponibilité des crédits, respect d’obligations d’intérêt général, ne pas léser les établissements publics compte tenu de leurs contraintes propres, etc. Il n’en résulte pas que le législateur a l’obligation de prévoir une telle aide. Mais lorsqu’il en prévoit une et qu’elle a permis aux établissements privés d’exercer effectivement leur liberté, sa suppression pure et simple conduirait à la disparition de ces établissements et porterait atteinte à la liberté de l’enseignement ; il s’agit alors de ne pas priver de garanties légales une exigence de caractère constitutionnel. »    

Le cadre initié par la loi Debré semble fermement inscrit par le Conseil constitutionnel dans notre paysage institutionnel et sociétal.